Junior est heureux. Dans six jours il aura 13 ans. Et 13 ans c’est l’âge où on commence à souffler presque tout seul. Son père l’observera de loin jusqu’à ce qu’il prouve qu’il peut se débrouiller sans aucune aide.

Son père c’est Eole, le maître et le régisseur des vents. Il a une très grande responsabilité, et lui Junior se doit d’être à la hauteur, car s’il veut un jour prendre la place de son père et s’appeler Eole, il doit le mériter.

Il a souvent accompagné son père dans son travail, depuis qu’il est tout petit, il sait comment souffler. Il se doit de connaître tous les vents qui travaillent avec son père. Il sait comment et quand appeler le mistral, vent du Nord violent qui va vers la mer ; l’autan orageux qui souffle du sud ; le blizzard, glacial ; le sirocco, chaud et sec qui vient du sahara. Mais attention, il se doit aussi de connaître les saisons. On ne peut pas faire n’importe quoi lui a souvent répété son père. Mais…il n’a jamais soufflé tout seul.

Il n’en pouvait plus d’attendre, encore six jours, c’était trop long. Il pourrait quand même essayer, juste quelques soufflets, pour s’amuser un peu !

– Maman, où est donc parti papa ?

– Dans le pacifique mon chéri, il est allé mettre de l’ordre tu sais, encore un cyclone !

– C’est loin le pacifique ?

– Très loin, mais ne t’inquiète pas il sera de retour pour ton anniversaire.

Sa mère Alizée le regarda avec amour, il était beau son Junior, il avait grandi trop vite, et bientôt il partirait ; bien sûr il reviendrait régulièrement, mais ce n’était  plus son bébé ; et un jour peut-être, et même sûrement,  il se laisserait séduire par un vent sorti d’on ne sait où ! Elle chassa vite cette idée, pour l’instant il était encore là, on verra bien pensa- t’elle.

Junior savait ce qu’il allait faire aujourd’hui. Son père dans le pacifique, sa mère dans son atelier des vents, il était libre pour la journée. Il commença à se faufiler à travers les nuages, il les connaissait tous.

– Salut les cirrus !

– Hé ! Junior comment vas-tu ? C’est bientôt le grand jour ?

– Oui, oui !

– Ne t’éloigne pas trop, tu connais ton père ?

– Ne vous inquiétez pas les cirrus, je vais juste faire un petit tour.

Il se faufila parmi eux, un sourire, une petit souffle et hop ! Il continua sa route. Il avait une idée en tête, aller jusqu’à la mer. Il avait envie de voir des vagues se former juste par son souffle ; il savait comment faire pour avoir vu son père. D’abord un souffle léger, le mistralet, puis un souffle plus violent, et là il verrait les vagues devenir de plus en plus grosses, elles déferleraient sur les rochers, soulèveraient des gerbes de sable ! Ah ! Il s’y voyait déjà !

C’était sans compter sur Neptune, le Dieu de la mer, qui commença à rugir lorsqu’il sentit les premières attaques :

– Junior ! Que fais-tu ici ? Tu n’as pas encore l’âge de souffler que je sache, et puis c’est pas le moment de faire le mistral ! Retourne chez toi, sinon je raconterais tout à ton père.

– Pardon Neptune, mais je voulais m’entraîner pour le grand jour, j’ai tellement hâte.

– Bon allez, ça va, je ne dirai rien, mais promis,  tu attends un peu, d’accord ?

– Mmm…

Il était déçu Junior, mais têtu ! Comme son père aurait dit Alizée ! Si du côté de la mer ce n’est pas possible, je vais essayer d’aller vers le désert. Le désert ça veut bien dire qu’il n’y a personne, alors …

Il continua sa route, rencontra quelques cirrocumulus qui lui dirent de ne pas trop s’éloigner ; Mais bien sûr pensa t’il ! Ils me prennent tous pour un bébé, j’en ai marre, je suis presque adulte moi !

Il décida de faire le sirocco, ce vent chaud et sec qui vient du Sahara, c’était super, rien ne se passait pour l’instant. Son souffle ne soulevait à peine que quelques grains de sable. Une petite voix intérieure lui disait : « Allez Junior, montre ce que tu sais faire, ose mon vieux, lâche-toi ! . Il se lâcha Junior, il fit le simoun,  devint de plus en plus chaud et violent. Ouais ! ça y est, je suis Eole, le plus fort du monde, le roi des vents, le plus grand …

Ce qu’il ignorait Junior c’est que le temps avait passé, et que sa mère s’inquiétait de ne pas le voir revenir. Alizée commençait à s’affoler, mais où est-il donc passé ? Il ignorait également que tout à sa joie d’avoir réussi l’exploit de soulever tout  le sable du désert, il n’avait pas pris conscience des caravanes qui le traversaient. Les hommes, les chameaux étaient ensevelis, les oasis recouvertes.

Il finit par s’arrêter de souffler car il commençait à être fatigué, et puis le soleil commençait à décliner. Oh là là ! Il faut que je rentre, et vite.

Il trouva sa mère qui l’attendait sur la porte de l’atelier des vents :

– Où étais-tu ? Sais-tu qu’elle heure il est ? Ton père va arriver d’un instant à l’autre ? Tu sais pourquoi il rentre plus tôt ? Parce que les cirrostratus t’ont suivi et qu’ils ont vu ce que tu faisais ! Et que Neptune s’en est mêlé ! Mais qu’est-ce tu as dans la cervelle ?

Junior se faisait tout petit, il ne craignait pas sa mère, il savait qu’elle lui pardonnait tout. Mais son père était très sévère, et il comprit qu’il allait être puni car désobéir au Dieu des vents ce n’était pas rien ! Il alla dans sa chambre la tête basse, sa mère pleurait ; il aurait aimé qu’elle le prenne dans ses bras, mais elle le repoussa. Trop c’est trop lui dit-elle !

Il commençait à s’endormir quand il entendit un grand bruit, comme un coup de tonnerre. Son père était de retour !

– Junior cria-t’il ! Ce que tu as fait est très grave, non seulement tu m’as désobéi mais en plus tu aurais pu provoquer une catastrophe. Tu es mon fils et je me dois de donner un exemple. Si tu veux être un jour à ma place, il va falloir que tu le mérites. En attendant et jusqu’à ce que je le décide, tu resteras un Zéphir doux et agréable. Et je ne tolérerais aucun écart.

– Papa, non, je t’en prie, je ne voulais pas être méchant, c’est juste que …

– Tais-toi et ne discute pas et en attendant ton anniversaire tu resteras dans ta chambre, sans sortir.

– Eole, dis timidement Alizée, je t’en prie.

– Non ! Si tu ne l’avais pas trop gâté on n’en serait pas là !

Alizée et Junior pleurèrent beaucoup, mais rien ne vint attendrir Eole. Ce qui était dit était dit !

C’est ainsi que Junior resta Zéphir pendant un certain temps. Mais à force de ténacité il réussit à regagner la confiance de son père, et c’est au moment où il s’y attendait le moins qu’Eole l’appela :

–  Mon fils, tu as montré beaucoup de courage et de bonne volonté jusqu’à aujourd’hui, aussi je te propose de m’accompagner nous allons faire de grandes choses ensemble, et qui sait, peut-être que je jour n’est pas loin où tu pourras me remplacer définitivement ?

– Père, je saurais me montrer à la hauteur de ta confiance, je te le promets.

– J’y compte bien mon fils, j’y compte bien.

Ce jour là, au-dessus de l’atelier des vents, le ciel était sans nuage.

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