Cela faisait des mois que je passais devant cette porte que je trouvais à la fois mystérieuse et effrayante.

Un jour, saisie d’exaltation, je décidai de frapper. Après tout, je verrai bien. Il paraît qu’il faut vivre avec des remords plutôt qu’avec des regrets !

Toc, toc, toc. Je frappai donc à  la porte. Personne ne répondit.

Après plusieurs tentatives, elle s’ouvrit lentement. Elle semblait lourde. Sa couleur rouge orangé la rendait atemporelle.

J’entrepris de poser un pied au delà du pas lorsqu’un bruit, presque inaudible, m’attira vers l’intérieur de cet antre inconnu. Le murmure devint, au fur et à mesure de mon avancée, un chuchotement puis un langage incompréhensible venu d’un autre monde. Les battements de mon cœur s’accéléraient et mon souffle se perdait. J’avançais seule dans un couloir sombre qui devenait de plus en plus bruyant.

Soudain, je sentis autour de moi un mouvement ou plutôt une présence. Oui quelqu’un ou quelque chose allait et venait autour de moi. J’étais pétrifiée.

Ma respiration se coupa et je m’arrêtai net lorsqu’une main se glissa dans la mienne. Devenue une statue sans vie, je n’osais plus bouger. La main, qui semblait petite, était chaude. Après quelques secondes interminables, elle m’emporta en me tirant par le bras comme s’il fallait se dépêcher pour éviter de rater quelque chose. Nous avancions presqu’en courant  dans un couloir interminable au fond duquel on pouvait apercevoir un halo de lumière douce puis intense. De cette source chaude sortaient quelques notes de musique.

La chose, qui s’avéra être, une fois l’obscurité dissipée, une fillette aux pieds nus et à l’allure douce mais sauvage, stoppa net sa course à l’entrée d’une pièce. Je faillis tomber tant l’arrêt  fut brutal. Elle ne parlait toujours pas mais ses grands yeux noisette en disaient long sur la marche à suivre. Je devais inexorablement avancer. Elle me lâcha la main et me laissa poursuivre seule mon chemin.

Une enfant by LNJe fis un pas en avant et la pièce s’éclaircit. La musique douce m’accompagnait toujours. Deux portes apparurent par enchantement comme si j’avais provoqué leur existence en avançant mon pied.  Sur la première était inscrit  « Loge de Moderatio » et sur la seconde « Loge d’Excessus ». Le mystère était entier. Rien n’aurait pu me faire soupçonner la réalité de ses portes.

Je supposai donc qu’une représentation allait se jouer lorsque j’entendis un tonnerre d’applaudissements qui venait d’un coin de la pièce. Les projecteurs furent dirigés sur un théâtre modeste mais baroque, il était petit mais très chargé en décorations.

Deux personnages firent leur apparition : Moderatio et Excessus. Moderatio était un jeune homme aux traits fins et de taille moyenne. Sa beauté angélique laissait cependant entrevoir une fougue qui ne demandait qu’à s’exprimer. Excessus était d’une beauté plus sauvage. Il portait une tenue qui épousait parfaitement son corps sculpté mais son regard intense cherchait l’apaisement et la mesure. Ces deux acteurs déclamaient leurs vies comme un tableau que l’on peint d’un seul geste de la main. Ces rôles leur avaient été attribués sans leur consentement.

Cela me fit réfléchir. Cette aventure surréaliste avait-elle pour but de me préciser que la nature profonde d’un être ne peut se lire aussi facilement qu’une empreinte et qu’il faut connaître les gens pour pouvoir les définir ? Que les premières impressions ne sont pas forcément les plus justes ? Que la tempérance et l’intempérance ne sont peut-être pas si étrangères et éloignées l’une de l’autre ? Et que choisir des qualités chez chacune d’elle formerait l’être parfait ?

Autant de questions que je me posais et qui restèrent sans réponse. Loin de mes élucubrations philosophico spirituelles, un bruit assourdissant se fit entendre à la porte d’entrée. Celle-là même qui me fit passer dans cet autre monde. Les membres de l’assemblée se mirent à s’agiter dans tous les sens et à se mouvoir sans but précis. Qui est-ce qui faisait tout se raffut ? Mère Justice venait-elle rendre son verdict ? Maître Judas payer son tribu ?

Non, c’était seulement le facteur qui tambourinait à ma porte pour me faire signer un recommandé. J’espère au moins que le contenu du colis allait en valoir la chandelle pour avoir osé me sortir aussi brutalement de ma torpeur.

Texte : Léccie / Photographies : LN