Un de perdu…

-Trois p’tits chats, chapeau d’paille, paillasson, somnambule, bulletin, tintamarre….

– Arrêtez un peu votre tintamarre ! Maryvonne, avait tourné la tête en direction des deux enfants assis sur la banquette arrière de la Renault 5. Pierre et Véronique avait joyeusement pouffé. Tonton Georges les avait réveillés à cinq heures du matin ! Les enfants englués de sommeil avaient lambiné devant leur chocolat au lait. Mais Tonton était demeuré inflexible quand il avait pris la route des vacances. Il aimait rouler « à la fraîche » pour éviter les bouchons à la sortie de Paris. La veille, il avait déposé dans le coffre de sa voiture deux valises joufflues. Le hayon avait grincé des dents avant d’accepter de se refermer sur les maillots de bains et les tee-shirts imprimés. En marge d’un petit jour lilas, la capitale avait déposé ses dernières limailles grises. Tandis que la banlieue blafarde et ses cheminées d’usines crachant des fumées opaques avaient disparu du décor, une joyeuse campagne s’était révélée avec la montée d’un soleil de juillet rouge tomate. À nous la Bretagne ! s’étaient-ils tous écriés. Dans un panier en osier posé entre les deux enfants une forme sombre s’était agité.

-Tatie, Minet gris veut sortir, s’était exclamée Véronique.

-Laissez ce chat tranquille, déjà que je ne voulais pas m’encombrer de cet animal. Il va se calmer, avait répondu sa tante.

Minet Gris, c’était le chat de Véronique. Elle l’avait trouvé en hiver en revenant du collège. Il jouait avec un stylo derrière la vitre du point de vente de la station de métro Buttes-Chaumont quand Véronique l’avait aperçu. Par de petits miaulements, la guichetière l’avait repéré dans le parc. Il n’était pas craintif, il cherchait un foyer. Un pyjama rayé beige et gris, des yeux d’ambre, un masque blanc et des vibrisses longues comme des fils de pêche, le cœur de Véronique s’était emballé d’amour en un éclair pour ce chaton abandonné. Son cabas d’école accroché à l’avant-bras, elle avait doucement saisi le jeune félin, en partance pour un voyage insolite dans les souterrains parisiens. Durant son périple, le chaton n’avait pas bronché. Mais comment papa allait-il réagir ? s’était interrogée Véronique.

– On le garde, avait dit le père fermement, mais tu t’en occupes totalement.

– Merci papa, s’était écriée la fillette en sautant au cou de son père.

Tonton Georges et Tatie Maryvonne emmenaient chaque année neveu et nièce dans leur résidence secondaire en bord de mer, tandis que leurs parents restaient à Paris pour travailler. Et toute la famille se retrouvait au mois d’août. Passé la ville de Chartres, Tonton avait mis son clignotant et s’était arrêté à la station-service Total (pour les points) faire le plein d’essence et boire un café. Le frère et la sœur étaient descendus de la voiture pour se dégourdir les jambes et laisser s’exprimer leur excitation enfantine à l’idée des grandes vacances. Maryvonne était nerveuse. Attendre l’agaçait déjà. Pendant ce temps, Minet Gris avait une autre idée en tête : s’évader de ce maudit panier qui le retenait prisonnier dans un monde qu’il ne connaissait pas, hors de son territoire. Un cauchemar ! Minet Gris avec patience et acharnement était parvenu à déchirer le fermoir en cuir et…

-En route les enfants, nous avons encore des kilomètres à parcourir, on va pas moisir ici, s’était exclamé le chauffeur.

Quand Pierre avait ouvert la portière de la voiture, Minet Gris avait brusquement bondi et s’était enfui comme un damné. L’effet de surprise avait été tel que seule Véronique l’avait vu disparaître derrière la boutique de la station, dans un champ de maïs verdoyant. La petite fille de dix ans avait appelé éperdument son chat, en vain. Tonton s’impatientait et Maryvonne fulminait.

-Tant pis pour cette sale bête, c’est bien fait pour elle, bon débarras, s’était-elle écriée.

Les yeux remplis de larmes et la tête basse, Véronique avait regagné sa place à côté de son grand frère et un panier vide entre eux hérissé de touffes de poils. À cinq heures du soir, la famille était enfin arrivée à Plouézec, en bordure de la Côte d’Armor. Les enfants ont la faculté de ne pas retenir les nuages sombres quand ils passent au-dessus de leur tête. Les vacances furent merveilleuses. La grande plage bleue les attendait avec ses châteaux de sable, ses jeux de ballons et sa pêche à la crevette. L’été 1974 passa. Et le temps passa dans un ciel de traîne. L’oubli de cette mésaventure s’installa comme un chat au bord d’une cheminée ronronnante de chaleur. On ne revit jamais Minet Gris.

Epilogue : « Le Maine Coon est un chat chien. Si vous cherchez un compagnon très attachant, cette race est faite pour vous. Nos chats vivent avec nous dans la maison et les chatons sont sociabilisés et habitués au quotidien familial. Nous élevons nos chats avec beaucoup d’amour et de respect. Venez nous rendre visite pour faire connaissance avec ces doux géants. Véronique B. Chatterie du bord de l’eau. Eleveur dans la Drôme. »