Une partie de pêche

-Papa, papa, regarde ce que j’ai attrapé !

Le garçon de six ans s’approcha fébrilement de son père, debout sur une berge creuse de la rivière. Il tendit vers lui une boite en fer blanc au couvercle percé de petits trous. Des coups légers mais déterminés frappaient le métal. L’enfant avait piégé une insouciante sauterelle. Par instinct sauvage, elle tentait de s’échapper de son enfer en bondissant comme un diable !

-Fais attention à ne pas la laisser s’échapper, s’écria le père avec bienveillance. Tout l’amour qu’il avait pour son fils se reflétait dans son regard ombreux. D’un geste maîtrisé, il donna une sèche impulsion sur son lancer. Le fil de nylon s’éleva en arabesque pour aller se noyer avec son appât asticoté quelques mètres plus loin, dérivant dans le courant soutenu de la Vienne. Après quelques tours de moulinet, le bouchon rouge, survivant à la noyade, flottait gaiement dans les petits tourbillons de cristal. A l’abri d’une poche herbeuse, deux truites chassaient à l’affût. Dans l’air chaud de juillet, la fabrique des souvenirs s’ébranlait, comme une rotative d’imprimerie.

-Où tu vas papa ?

-Ne t’inquiète pas, je m’avance un peu dans l’eau. Reste bien sur le bord.

Le soleil balançait à toute volée ses rayons sur la ripisylve en broussailles. Les insectes par bouquets fervents sautillaient dans les hautes herbes. L’enfant s’accroupit sur l’herbe sèche et débrida avec application ses sandales de cuir. Il enfonça ses pieds nus dans l’eau fraîche. Son père avait coincé entre deux gros galets une bouteille de limonade. Le petit garçon la regardait osciller légèrement dans le mouvement des eaux. Une branche de noisetier et un fil à bouchon de liège lui servait de canne. Marco pêchait à la ligne, il ne pensait à rien d’autre. Il était bien, son père à ses côtés au bord d’un cours d’eau chantant, avec l’excitante promesse de voir sortir de l’eau une truite arc-en-ciel, aux flancs ruisselants parsemés de points noirs.

Le ciel s’assombrit et grogna. Un orage menaçait de percer. Le père leva la tête et pensa que c’était un bon jour pour la pêche ! Marco se redressa.

-Dis papa il va pleuvoir tu crois ?

-Chut, ne fait pas de bruit, j’en ai repéré une….

Marco gratta ses cheveux blonds et demeura silencieux. Il se souvint brusquement de sa prise à lui. L’insecte de jade s’était résigné au fond de sa prison métallique. Marco voulut soulever délicatement le couvercle pour l’observer mais la boite résistait et tirant plus fort, elle s’ouvrit d’un coup sec. La sauterelle abasourdie réalisa en une seconde qu’elle était libre. D’un bond formidable, sous le regard fasciné de l’enfant, elle disparut dans les graminées échevelées.

Une demoiselle au corps grêle et aux ailes bleutées vint soudainement se poser sur la pointe d’un roseau. Marco l’observait. Il voulut l’attraper avec sa boîte à insectes, mais l’affaire était ardue. Oublié à côté du panier à sangle, une brise légère feuillerait un album de poche des aventures de Placid et Muzo.

L’orage s’éloignait en grommelant. La truite méfiante échappa au pêcheur, la libellule à l’enfant. La sauterelle avait depuis longtemps rejoint sa jungle miniature. Au loin, cinq heures sonnaient au clocher. Il était temps de goûter !

Le monde avance entre soleil et ombre. Mais la rivière archive dans ses gravières la vie rêvée des enfants.