-Tête de rouille, tête de rouille ! Elisa n’aimait pas la récréation. C’était le pire moment de sa journée. Elle allait encore devoir supporter sans broncher les railleries de Métal, Alu et Pyramide. Le petit groupe d’agresseurs ne manquait pas une occasion de se moquer d’elle. Sur la planète Nepton, la naissance d’un enfant aux cheveux roux était de mauvais augure. À deux reprises de l’année neptonnienne, des trombes d’eaux acides s’abattaient brusquement et décapaient les terres arables. Puis, dans les jours qui suivaient, des bancs de brumes sulfuriques enveloppaient les résidences. Alors les murs se mettaient à suinter et la Grande Rouille rongeait le fer avec voracité. Pas d’arbres ni de sable sur cette petite planète tellurique aux confins de la voie lactée. La végétation se résumait à quelques plantes herbacées aux tiges tendres parsemées à la fantaisie des vents. Les maisons et leur contenant, tout était en fer. Le temps du cataclysme, les habitants des villes se réfugiaient dans des abris en aluminium (matériau très rare) pendant qu’il pleuvait sans discontinuer. A la mauvaise saison, une grande pénurie de nourriture s’ensuivait. Aussitôt, sous l’océan rouge, les galeries profondes s’éveillaient au bruit des machines exploitant le précieux minerai. La plateforme de la mine se balançait au gré de la houle. Ainsi était la vie sur Nepton depuis la nuit des temps.

Une sieste étrange.

L’été n’en finissait pas. Deux soleils irradiaient la campagne environnante. Mais Elisa préférait la fraicheur de sa chambre aux murs bleus. Ses yeux violets se fermèrent doucement. Elle attendit un moment avant de s’assoupir. Quand elle s’éveilla, un drôle d’animal était assis en face de son lit et la regardait fixement.

-Bonjour Elisa, dit le renard, je suis un renard et je viens de la planète Terre.

-Bonjour, lui répondit Elisa, curieusement calme.

-Regarde comme ma fourrure est fournie et sa couleur gracieuse. Tu ne dois pas avoir honte de tes cheveux. Je suis une des plus belles espèces de la forêt et je suis rusé comme un renard !

-On se moque de moi tout le temps, les rousses ça porte malheur ! C’est quoi la forêt ?

Sans répondre, le renard d’un bond s’enfuit par la fenêtre restée entrouverte.

Le lendemain, les mouflets se moquèrent à cris répétés : Tête de rouille, tête de rouille ! Ils ne savent dire que ça, pensa Elisa assise sur un banc vert-de-gris. Elle se concentra sur ce que lui avait chuchoté cet animal bizarre qui avait séjourné dans sa chambre. Avait-elle rêvé ? Elle ne le savait pas. Mais cette pensée la fit sourire.

Une nuit sans lune.

Deux aurores et deux crépuscules plus tard, tandis que les soleils verts de Nepton disparaissaient l’un après l’autre derrière la cime d’un terril de limailles argentées, Elisa se hâta de regagner la maison de tôles où sa maman aux longs cheveux dorés l’attendait avec bienveillance. Dès le souper terminé, vint le moment d’aller se reposer. Les habitants de Nepton se couchaient tôt. Dans le silence feutré d’une nuit ténébreuse, l’enfant entortilla sa chevelure flamboyante avec un ruban de velours grenat. Elle ferma les yeux. Le sommeil allait l’engloutir quand une bourrasque poussa violement les battants de la fenêtre. La petite se redressa d’un bloc, surprise par cette bruyante intrusion. Dans le sillage du vent, une myriade de feuilles virevoltant en tous sens envahit l’espace. Elisa s’apprêtait à refermer la fenêtre quand elle entendit une douce voix venant de nulle part.

-Bonjour Elisa, dit la voix, je suis l’automne et je viens de la planète Terre.

-Bon… Bonjour, lui répondit Elisa, avec un petit tremblement dans la voix.

-Regarde comme mes feuilles rousses sont élégantes et comme elles sentent bon ! Tu ne dois pas avoir honte de la couleur de tes cheveux. Je suis la saison la plus belle. J’habille la forêt d’une robe orangée et recouvre les graines des arbres d’un manteau de laine rouge. Sans moi, la vie sur la Terre serait bien terne.

-On se moque de moi à l’école, les rousses ça porte malheur ! C’est quoi la forêt ?

Sans répondre, dans un souffle majestueux, l’automne s’enfonça par les vantaux grands ouverts, dans l’épaisse noirceur de la nuit, abandonnant sur le sol un tapis aux couleurs chaudes comme du métal en fusion.

Un rêve éveillé.

Ce matin-là, un ciel de jade rayonnait déjà à l’aurore. Sur la route de l’école, Elisa allait guillerette, en sautillant sur les plaques oxydées. Au loin, au pied d’un pylône métallique, elle devina que quelque chose avait bougé. Curieuse, elle s’approcha doucement. Un petit animal était assis, qui la regardait avec de grands yeux verts en forme d’amande.

-Bonjour Elisa, dit le chat, je suis un chat sauvage et je viens de la planète Terre.

-Bonjour, lui répondit Elisa, comment es-tu arrivé jusqu’ici ? Sans répondre, le chat poursuivit :

-Regarde comme mon pelage est admirablement rayé de roux et de brun. Tu ne dois pas avoir honte de tes cheveux. Je vis dans la forêt où ma discrétion et mon adresse forcent l’admiration.

-On se moque de moi tout le temps, les rousses ça porte malheur ! C’est quoi la forêt ?

Sans répondre à la question, le chat étira ses pattes antérieures en baillant. Puis il se mit à lécher ardemment son poil pour le faire briller.

-Les moqueurs ne les écoute pas, ce sont des minus, reprit-il. Ta chevelure est belle comme le feu réanime la cendre, le soleil rouge qui disparait dans la mer au couchant et comme les fruits dorés de l’été sur la Terre. L’animal vint se frotter contre la jambe de la fillette. Elisa tendit la main. Le chat ondula de plaisir sous les caresses de l’enfant.

Durant deux cycles, le chat et l’enfant se rencontrèrent au pied du pylône de fer tout rouillé. Ils devinrent amis. Le chat lui racontait sa lointaine planète, vantant son étincelante lune, son soleil écarlate, ses pandas roux, ses rouges-gorges, ses écureuils volants, ses tigres et ses panthères aux sublimes manteaux, ses kangourous… et ses quatre saisons sacrées. Plus les jours passaient et plus Elisa se sentait forte face à ses harceleurs. Au bout du compte, elle n’y prêta plus attention et les vilains pourchasseurs cessèrent leur stupide chanson. Un matin, le chat ne fut pas au rendez-vous. Elle contourna le vieux pylône, appela en vain des jours durant. Mais le félin matou ne réapparut pas. Elisa, dans le miroir, le visage encadré d’une chevelure de braise, se trouva jolie.

De mousson en mousson, les cycles passèrent. Aguerrie par ces curieuses rencontres, Elisa, aux taches de rousseur et aux cheveux rouges, trouva assez d’assurance pour monter à l’assaut de la vie. Souvent elle pensait à ces étranges visiteurs venus d’une lointaine planète. Elle ne sut jamais ce que voulait dire la forêt.

Gaya