Il y a bien longtemps, dans un pays qui ne s’appelait pas encore la Grèce, sur les bords d’un grand fleuve qui s’appelait Pénée, vivait une petite nymphe. Le puissant fleuve charriait ses flots impétueux vers la mer qui ne s’appelait pas encore Egée, entre une montagne située au Septentrion, le grand mont Olympe au sommet couvert de nuages, où l’on entendait parfois la voix de Zeus, le roi des dieux, et une autre montagne située au Midi, le mont Ossa. Le flot du fleuve était si puissant que parfois la petite nymphe croyait entendre comme un hurlement dans les gorges creusées par les eaux, et qu’elle appelait pour cela « la gueule du loup ».

Notre petite nymphe vivait gaiement et paisiblement dans cette belle contrée qu’elle appelait l’Hémonie, passant de longs moments à contempler la beauté de la nature et à s’estimer heureuse d’avoir été créée nymphe dans un aussi beau pays. Un jour, alors qu’elle gambadait joyeusement dans une belle prairie ondoyante sur la rive, elle entendit un froissement dans les hautes herbes. Surprise elle s’arrêta et redoubla d’attention. Ce qu’elle vit la glaça d’effroi : un énorme serpent ondulait entre les herbes. Ses yeux étaient jaunes, comme ceux des crocodiles du Nil, et son long corps était couvert d’écailles grises et luisantes comme du métal. De temps à autres, une langue rouge et fourchue sortait de sa gueule hérissée de dents acérées.

La bête avait aperçu la nymphe et se dirigeait vers elle. La petite divinité se mit alors à courir aussi vite qu’elle put entre les hautes herbes, mais le serpent la dépassa bientôt en ondulant vivement. Il se campa face à elle et se mit à parler : « Ma petite, je vais te dévorer, car tu es à mon goût ! ». La nymphe, effrayée, lui répondit : « Prends garde, je ne suis pas une mortelle, mais une nymphe, et si tu me dévores, le grand Zeus qui tonne sur la montagne du Septentrion aura tôt fait de te détruire ». Cette réplique provoqua le rire du serpent, qui ouvrit tout grand son horrible gueule pour engloutir la nymphe. Alors un souffle déchira l’air. Le serpent, tout dressé, s’immobilisa. Une flèche d’or venait de transpercer son horrible tête, et il s’abattit dans l’herbe, mort.

La petite nymphe regarda autour d’elle pour essayer de voir d’où venait le trait qui l’avait délivrée du monstre. Personne alentour. Pas plus de faune que de satyre, qui souvent venaient l’ennuyer. Elle leva alors les yeux. Au dessus d’elle, une forme descendait du ciel. Cette dernière se rapprocha et vint se poser sur le serpent inanimé. C’était un beau jeune homme qui rayonnait comme le soleil et qui tenait à la main un arc d’or. La petite nymphe, quelque peu éblouie par la lumière qui irradiait du jeune homme mais aussi par la beauté de celui-ci, lui demanda : « Qui es-tu, ô toi mon sauveur ? » Le jeune homme lui répondit « Je suis Apollon. Du haut de mon char, j’ai vu le manège de cet horrible Python que je cherchais depuis quelque temps… Et toi, qui es-tu ? »  « Je ne sais », répondit la nymphe. « Je vis auprès du grand fleuve, là où j’ai été créée, et n’ai point de nom pour me désigner ». Apollon lui dit alors : « Et bien, puisque tu vis ici au milieu du Tempé (c’était le nom de cette vallée encaissée de l’Hémonie, là où coule le Pénée), tu t’appelleras désormais Temperencia, et tu pourras dire que tu es l’amie d’Apollon ». Temperencia réfléchit un moment, puis le questionna : « Mais… pourquoi avoir tué ce serpent ? Il me menaçait, certes, mais ne m’aurait peut-être pas dévorée… je l’avais mis en garde contre la vengeance de Zeus… » Apollon se gratta la tête et répondit : « Pourtant, tu paraissais effrayée. Mais tu aurais préféré que j’épargne Python. Tu es d’une grande sagesse, ton esprit est très fort et tu aimes la justice. »

Temperencia rougit, car dans la bouche du dieu, c’était un vrai compliment. Apollon reprit : « Pour célébrer toutes ces vertus que tu portes si bien en ces lieux, j’y créerai une ville dédiée à tes vertus, ô petite nymphe Temperencia. Cette ville sera aussi dédiée à Python, et de sa dépouille s’élèvera un temple qui me sera consacré. Une prêtresse mortelle vouée à Python y rendra mon oracle. Toi, Temperencia, je te charge de veiller à ce qu’aucun mortel ne manque de vin pour venir m’offrir un sacrifice avant de consulter mon oracle. Pour cela je te donne le pouvoir de changer l’eau du Pénée en vin. Tiens… » Et il tendit à Temperencia un rhyton d’or et un cratère d’airain. Alors elle cueillit autour d’elle de belles fleurs dont elle se tressa une couronne en l’honneur du dieu, puis elle retroussa sa tunique jusqu’au dessus de ses genoux et alla remplir le vase à l’eau du fleuve. Le tenant haut au dessus de sa tête, elle cessa d’obturer son goulot : Du vin s’écoula depuis le rhyton jusque dans le cratère qu’elle tenait de l’autre main.

A ce moment-là Apollon demanda à Temperencia : « Au fronton de mon temple qui s’élèvera ici, il manquera une devise. Petite nymphe Temperencia, que voudrais-tu y voir inscrit ? »

Et Temperencia répondit : « Tu y feras inscrire « Connais-toi toi-même » ».