Petite,

Si je t’écris ce soir c’est pour te dire combien je tiens à toi.  Le temps, fin stratège, a beau faire le siège, je te garde comme un trésor antique. Où que je sois tu me précèdes, toujours à l’heure, toujours de bonne humeur. Alors ôte ton tablier et faisons fi des sabliers. Partons sautiller à la promenade, un brin d’herbe entre les dents. Voici les fleurs de marronniers et les vergers de cerisiers. À l’heure du goûter, nous mettrons à la course des escargots trainant dans les broussailles, à cheval sur un muret. Puis nous mettrons un pied devant l’autre, funambules en équilibre au bord d’un caniveau. Et si nous trébuchons au fond du précipice, nous rirons malgré les écorchures, tatouées de mercurochrome. En cachette, nous fumerons des cigarettes et volerons des groseilles par-dessus la treille. Puis sauterons sur les ballots de foin des granges lozériennes. Au soleil couchant, nous reviendrons par les champs en suivant les troupeaux odoriférants.

Dans le ciel passent des chevaux et de fantasques animaux que le vent enlève. Sur cette terre, un peu solitaires,  nous regardons s’envoler les oiseaux. Avec leurs rémiges tombées de haut, nous ferons des bouquets de plumes, au clair de la lune.  Et si les années moissonnées nous inquiètent, Chronos se fait vieux, il n’a plus toute sa tête. C’est à peine s’il aura éraflé tes dix ans.  Alors tu vois petite, à l’heure où l’automne me fane, je veux croire encore que le monde est beau !