André Moisson arriva le premier au rendez-vous. De grandes baies vitrées ourlées de lourdes tentures s’ouvraient sur une terrasse ombragée animée par des chants d’oiseaux mêlés au brouhaha de la ville. De gigantesques lustres de cristal tombaient des hauteurs du plafond. Au centre de la pièce trônait une immense gerbe de fleurs. Lujuria apparut dans le grand salon de l’hôtel de Crillon : la force de l’érotisme émanait de cette femme éblouissante de beauté. Sa simplicité naturelle frappa le journaliste dont c’était la première rencontre avec la star internationale. Elle portait une robe de soie blanche dont la fluidité et la légère transparence suffisaient à magnifier ses lignes parfaites. Seuls ses bras ronds et fins étaient découverts. Une abondante chevelure brune bordait un visage de Madone et ruisselait sur ses épaules douces. Des sandales plates en cuir doré enserraient ses pieds délicats. Elle ne portait pas de bijoux. Figure emblématique de l’audiovisuel, André Moisson avait gagné la confiance des personnalités du monde du spectacle. Avec délicatesse, il s’avança à la rencontre de la star, l’invitant à prendre place dans un canapé velouté.

– Lujuria, vous déclenchez les passions amoureuses et êtes passée maîtresse dans l’art de la séduction sur grand écran. Parlez-nous de vous.

– Je suis née à Chypre en Grèce, par une nuit étoilée, au bord d’une mer d’écume agitée par les vents. Mais je ne vous dirai pas mon âge ! (elle sourit malicieusement). J’en conviens, j’aime chavirer le cœur des hommes sur la pellicule. Mais je suis par nature possessive et jalouse. Je ne supporte pas que l’on me résiste, même dans la vie !

-Pourtant vous avez épousé Héphaïstos, ce forgeron infirme.

– J’étais jeune à cette époque. J’ai obéi à mon père. Cette union n’a pas été heureuse, mon mari était une grosse brute. Arès fut mon premier grand amour ; un militaire ardent et un peu querelleur, je l’avoue. Nous nous sommes rencontrés au restaurant, après le tournage de «Gladiator le retour». Nous nous retrouvions en cachette de mon époux. Hélas, son ami Hélios, un être un peu solaire, nous surpris au petit matin dans la caravane. Il alla immédiatement rapporter le fait à Héphaïstos. Ivre de colère, il nous prit au piège, en nous emprisonnant dans le lit avec son filet de pêche ! Nous réussîmes à nous enfuir, moi à Paphos mon village natal et Arès à Thrace (pour ne pas en laisser) et échapper ainsi au châtiment d’un mari humilié et jaloux.

– Combien de temps êtes-vous restez seule à Chypre ?

– Peu de temps. Je venais de rencontrer Adonis, un jeune figurant d’une beauté incomparable se trouvant sur le plateau de tournage de «Ulysse contre Hercule». J’en tombai éperdument amoureuse. Pour ne pas attirer les regards, nous nous rencontrions chez mon amie Perséphone qui tomba à son tour sous le charme de mon amant. Jalouse, elle ne voulait plus le laisser sortir de chez elle ! Le bel Adonis dut se partager entre deux désirs brûlants. Mais la perfide Perséphone appela Arès pour lui faire part de mes infidélités. Vous imaginez la puissante colère d’un guerrier. Adonis échappa de peu aux représailles de mon légionnaire !

– Eros est né de votre union avec Arès, voulez-vous nous le présenter ?

– Eros est aujourd’hui un jeune homme de 25 ans, un acteur brillant à l’avenir prometteur. Il n’a pas son pareil pour incarner la force des désirs indomptables. Nul n’échappe à sa beauté gracile et son élégance naturelle. Il est par ailleurs champion de tir à l’arc ! Antéros son jeune frère cherche encore sa voie.

– Lujuria, vous avez tenu à protéger vos enfants des médias, pouvez-vous nous dire quelques mots sur les jeunes adultes qu’ils sont devenus ?

– Je suis très fière de mon fils Enée qui m’a donné deux beaux petits-enfants, Romulus et Rémus, fondateurs de la société de production Ciné Roma. Priape, qui vient de fêter ses 30 ans, est réalisateur de films érotiques. Hermaphrodite dirige depuis 10 ans une revue transformiste sur Paris qui marche très bien. Phobos a terminé ses études et s’apprête à ouvrir un cabinet de psychothérapie. Deimos écrit des nouvelles d’épouvantes et vient de décrocher un contrat d’exclusivité chez Gallimard. Harmonie parcoure la planète en ardente militante de la paix et de l’équilibre du monde. Rhodos, fille de Poséidon, tient une colossale agence spécialisée dans les croisières maritimes.

– Vous avez été la muse de peintres et de sculpteurs de renom, comment vit-on ces instants privilèges dans le secret des ateliers ?

– J’ai commencé à poser en Italie, pour un certain Botticelli qui n’a pas hésité à me peindre toute nue. Le Titien, Vélasquez, Ingres, Cabanel et tant d’autres lui ont emboité le pas car, vous le savez, je n’ai pas honte de mon corps et sais me montrer très impudique ! Mais j’ai une particulière affection pour Praxitèle qui a su immortaliser ma jeunesse et ma beauté avec le talent d’un très grand sculpteur.

– On murmure que vous êtes experte à produire des philtres pour soigner ou envoûter. Pouvez-vous nous confier une de vos recettes ?

– Hélas mes recettes doivent rester secrètes car elles sont très puissantes. Circé l’ensorceleuse s’est un jour introduite dans ma loge à la Cité du Cinéma. Elle a profité de mon absence pour recopier celle qui l’intéressait pour dominer les hommes. Ulysse a pu le constater sur ses compagnons métamorphosés en cochons ! On ne m’y prendra plus.

– Vous avez annoncé sur Instagram en mars dernier la préparation d’un téléfilm, pouvez -vous nous en dire davantage ?

– Je m’envole ce soir, destination Mykonos pour le tournage d’un remake de Zorba le Grec réalisé par le petit cousin d’Anthony Couine et coproduit par France Télévision. Je ne peux rien vous dire pour le moment mais j’y serai très dévoilée….

– Lujuria, vous êtes la bienvenue sur le plateau de Vivement Samedi. Nous vous attendons pour la sortie de ce film.  Lujuria, ce fut un plaisir de vous rencontrer… (André MOISSON, sous le charme, sourit béatement).

-C’est moi qui vous remercie.

Lujuria se leva nonchalamment. Légère, elle se dirigea vers la sortie. Ce faisant, elle offrait au journaliste la partie la plus charnue de son anatomie qu’il devinait ballotant en transparence sous la soie. Troublé, il regarda s’éloigner Vénus callipyge. Tonton Georges, tout là-haut, se rinçait l’œil avec malice …

-Coupez !