Ma famille

En retrouvant cette aquarelle que j’avais peinte voici quelques années, je ne peux m’empêcher de lier ce tableau à ma famille, comme je l’avais déjà fait en le peignant.

Le but initial était de représenter ce vieux paquebot des années trente dont je porte justement le nom.

Pour animer la composition, j’avais ajouté deux passagers imaginaires quittant le navire : mon père et mon grand-père, valise et porte-paquets à la main. Tant que j’y étais, je m’étais également ajouté sur le tableau, âgé de cinq ou six ans, avec ce blouson rouge aux deux Bambi blancs que je n’ai jamais oublié. J’avais trouvé une photo de vieille femme en noir qui m’avait ému. Je l’avais donc représentée pour ouvrir la marche de mes personnages, une cruche pleine d’eau à la main elle personnalisait mon arrière-grand-mère car lorsque j’eus peint son visage, j’avais trouvé qu’elle me regardait avec bienveillance… Cette femme avait eu le sacré courage de quitter son village natal, et c’est elle qui nous a transmis son nom. Car mon patronyme est en fait un matronyme !

Comment ne pas penser en voyant ce tableau, à tous ceux dont était issue cette aïeule, et dont je connais parfaitement les noms et les prénoms, les dates de naissance et de mort, le métier pour certains, et ce en remontant jusqu’au début du seizième siècle ?

Comment ne pas avoir imaginé ce qu’avait pu être leurs vies ? Avoir cherché des liens entre leur temps passé en ce bas monde et les évènements qu’ils avaient dû vivre, voire subir ? Comment ne pas avoir essayé de deviner leurs secrets, dont les échos, tapis dans les gènes qu’ils m’ont transmis, me hantent peut-être encore ?

Ce regard sur le passé était en quelque sorte matérialisé sur le tableau. Mais le regard aveugle sur ce que sera l’avenir de ma famille, comment le porter ? Car ma descendance commence à faire pas mal de monde. Quand je pense que je suis fils unique ! A ce jour, avec mon épouse, nous ne comptons pas moins de treize descendants : ma famille !

Je ne suis plus croyant. Je pense que nous sommes emportés dans un grand tourbillon dont nous ne comprenons pas le milliardième du fonctionnement… Je pense même que le temps n’existe pas, qu’il n’est qu’une illusion que l’humain a inventée. Mais tout cet infini au dessus de nos têtes et toutes ces années, ces décennies qui vont venir m’angoissent quand je réalise que ma famille va y plonger.

Alors, je me prends, non pas à prier, mais à prononcer souvent in petto une sorte d’incantation, une exhortation à ce que la traversée de cet inconnu se déroule du mieux possible pour les miens. J’invoque pour nous, en nous nommant tous, une protection, non pas de quelqu’un, mais de ce grand tout auquel nous ne comprenons rien. Si cet univers infini, ou ce multivers fini nous anime, nous devons y être profondément liés puisque nous sommes sa substance ! Alors, si je lui parle, je devrais pouvoir obtenir son écoute, influer sur son évolution, et pourquoi pas, l’émouvoir ?