Je retrouve cette vieille photo de Pantelleria ! J’étais venu sur cette île pour couper avec les mondanités parisiennes et faire quelques repérages. Ma logeuse m’avait conseillé un petit restaurant, non pas sur le port, mais à l’orée du village, en montant vers les vignes et les champs de câpriers : « Da Lujuria », c’est-à-dire « Chez Lujuria ». Effectivement, les spaghetti à l’encre de seiche et aux tellines que l’on y servait valaient vraiment le détour. De même le petit rouge sauvage issu des vignes au ras du sol cultivées là en paniers. Le dîner terminé, comme je demandais ma note, on me fit comprendre que ce serait la patronne qui me la remettrait. Effectivement, d’une porte derrière le comptoir sortit une superbe femme brune de grande taille et bien en chair qui s’approcha de ma table. Dans un français impeccable au léger accent indéfinissable, elle m’interpella : « Quel honneur d’avoir Monsieur T. en personne à ma table ! »  Pour un voyage incognito, c’était raté.) « Je suis Lujuria, – se présenta-t-elle en engageant la conversation- je vous invite et je vous offre la grappa…» Dès son apparition, j’avais été intrigué par la ceinture qu’elle portait sur sa robe blanche : la boucle représentait le symbole de la féminité, souvent appelé « le miroir de Vénus ». Ce signe semblait bel et bien en or, et des pierres précieuses ornaient son support ainsi que le cuir noir de la ceinture. A vrai dire cet accessoire vestimentaire attira tellement mon regard, juste sous le magnifique décolleté, que Lujuria s’en aperçut. Elle m’expliqua que cette boucle de ceinture venait de sa mère. « Et savez-vous ? Je suis la fille d’un archevêque ! » murmura-t-elle. Entre deux verres de grappa, elle me conta l’invraisemblable circonstance de sa naissance : sa mère vivait alors à Palerme. Elle n’aimait pas beaucoup l’emprise de la religion sur la vie sicilienne et prenait un malin plaisir à provoquer le pauvre jeune curé de sa paroisse en l’aguichant. Un jour que ce curé se baignait dans une crique avec les jeunes du patronage, la mère de Lujuria ne trouva rien de mieux que de venir se baigner toute nue au même endroit. Après quelques cabrioles aquatiques que fit la délurée devant le prêtre de plus en plus embarrassé, celui-ci fut tellement ému qu’il laissa échapper un petit cri et que l’eau se mit à mousser curieusement à hauteur de sa taille ! Alors la jeune femme passa et repassa en faisant la brasse au milieu de cette « écume » ecclésiastique…  « Me croirez-vous, elle tomba enceinte -me confia Lujuria- et me voici ! Et le brave curé a pris du galon ! Il est aujourd’hui Monsignore au Vatican ! » Elle partit d’un éclat de rire que je ne pus que partager. Après deux minutes de ces éclats, j’eus la surprise qu’elle colle ses lèvres sur les miennes. « Viens… » dit-elle en prenant ma main, dans le petit restaurant désormais déserté. Et elle m’entraîna à l’étage où se trouvait sa chambre.

Tout ce qui se passa cette nuit-là est resté gravé dans ma mémoire comme si c’était hier soir. Depuis, quand je ferme les yeux ce sont ses superbes hanches que je revoie en premier. Je vous passe le reste…. Bien plus tard, j’appris par hasard que notre union aurait été fructueuse, et que ma belle hôtesse d’un soir était… depuis longtemps mariée au forgeron de la ville !

Cette aventure changea ma vie. Je devins libertin et multipliai rencontres et aventures. Je me fixai à Montpellier, car c’est dans cette ville que je trouvais que les femmes étaient les plus belles.

(Tiens, un ce ces jours, j’en ferai peut-être un film…)