Les perles magiques

 Lilou était allongée sur son petit lit et elle était triste. Triste parce qu’elle se trouvait dans un orphelinat, que c’était le vingt quatre décembre, et qu’elle aurait bien aimé se blottir contre sa maman, s’endormir contre elle, se réveiller  le matin et voir tous les cadeaux au pied de l’arbre. Elle ne comprenait pas grand chose au monde des adultes, mais ce qu’elle avait bien compris c’était qu’elle ne reverrait plus ses parents. Elle n’avait que six ans.

 L’accident était arrivé il y avait un an environ. Un soir ses parents n’étaient pas là à l’heure de la sortie. Elle aimait bien les apercevoir derrière la grille, ils se tenaient la main et s’embrassaient. Elle courait alors pour se jeter dans leurs bras, mais arrivée près d’eux, elle s’arrêtait, comme si elle hésitait à choisir ; Papa ? Maman ? C’était devenu un jeu. Elle avait attendu dans le bureau de la directrice ; celle-ci essayait de la rassurer :

 –          Ne t’inquiète pas Lilou, ils ont sûrement eu un empêchement, une panne de voiture peut-être, je suis sûre qu’ils ne vont pas tarder à arriver.

 La directrice, Mme Bonnal, essaya de les joindre à leurs travails, mais ils étaient partis à l’heure habituelle. Et puis le téléphone sonna, c’était la police. Elle proposa de garder Lilou jusqu’au lendemain, de façon à lui annoncer la disparition de ses parents de la manière la plus douce possible.

 L’odeur du lait chaud la réveilla. Mme Bonnal se tenait près d’elle, elle avait les traits tirés, elle n’avait pas dormi de la nuit. Des larmes perlaient au bord de ses yeux.

 –          Bonjour Lilou. Tu as bien dormi ? Viens boire ton lait, j’ai mis du chocolat. Tu aimes le chocolat ?

–          Oui Madame, j’adore le chocolat et les céréales aussi.

–          Bien, il faut que je te dise quelque chose de très grave et …

 Sa voix se brouilla, mais elle se reprit.

 –          Il est arrivé un malheur ma chérie. Tes parents ont eu un accident… Ils sont à l’hôpital, mais … Ils n’ont pas souffert … Le choc a été très violent, et … Enfin, ils sont partis pour toujours.

 Accident, hôpital, partis pour toujours. Lilou ne comprenait rien. Pourquoi ses parents étaient-ils partis pour toujours ? Et c’était combien de temps toujours ?

 Elle regarda Mme Bonnal et attendit la suite. Comme celle-ci se taisait, elle lui demanda :

 –     Mais ils viendront quand me chercher ?

–          Je crois que tu n’as pas bien saisi. Ils ne viendront pas. Ils sont morts dans cet accident et …Tu ne les reverras plus.

–          Mais pourquoi ils sont partis sans moi ? Papa m’a toujours dit qu’il m’emmènerait partout. Il m’a menti alors ?

–          Mais pas du tout. Ce n’est pas de sa faute. Un camion a grillé un feu rouge et …

 N’y tenant plus, Mme Bonnal pris la fillette dans ses bras et la serra très fort. Toutes les deux pleuraient à chaudes larmes, et Lilou sentait bien qu’il se passait des choses terribles. Papa, maman, où êtes-vous ? Un long moment après et avec une infinie tendresse, Mme Bonnal continua :

 –          Tu sais, je n’ai pas le droit de te garder avec moi. Alors, en attendant que l’on puisse joindre ta tante, tu devras aller à la DDAS. Une dame va venir te chercher, tu verras elle est très gentille. Et puis …

 Et puis Lilou se retrouva dans un orphelinat tenu par des religieuses. C’est sœur Claire qui l’accueillit.

 –          Mes parents sont partis sans moi, et je suis une orpheline, lui dit-elle.

–          Ma petite fille, ils sont partis certes, mais de là où ils sont ils te voient. Ils ne t’ont pas abandonnée, mais le bon Dieu les a appelés auprès de lui.

 Elle était gentille sœur Claire, elle lui faisait des câlins, lui racontait des histoires d’anges qui descendaient du ciel, de petit Jésus, de sainte Vierge. Lilou aimait bien sœur Claire parce qu’elle était douce comme sa maman.

 Les jours passèrent, les semaines, les mois …

 La tante de Lilou n’était pas venue la chercher. Elle s’en moquait parce qu’elle était sûre que sa tante était méchante. Elle se rappelait une conversation entre ses parents :

 –          Tu sais quoi ? Ma sœur a un nouveau mari !

–          Encore ! Ce n’est pas possible, elle a le diable au corps !

 Sa tante avait le diable dans le corps, et le diable il rend les gens méchants. Sœur Claire lui avait dit que le diable faisait faire des bêtises.

 La semaine précédant Noël, tous les enfants de l’orphelinat préparèrent la fête. Il fallait confectionner des fleurs en papier, et Lilou alla s’asseoir à côté de Margot. Margot était une grande fille de douze ans, très brune, toujours habillée de noir, une rebelle. Lilou en avait un peu peur, mais elle sentait que Margot l’aimait bien.

 –          Qu’est-ce que tu as commandé au Père Noël lui demanda Lilou ?

–          Pff ! Idiote, s’il existait ton Père Noël, il ne nous laisserait pas croupir ici ! Même le bon dieu il n’existe pas !

–          Mais si ! Sœur Claire elle a dit que …

–          Sœur Claire elle dit n’importe quoi ! Bon, si je devais lui demander quelque chose à ton Père Noël, et bien je lui demanderais de me faire grandir très vite pour que je puisse me tirer d’ici !

–          Tu m’emmèneras avec toi ?

Margot se contenta de lui caresser la joue. Quelle chienne de vie ! Elle avait été abandonnée à sa naissance, et son mauvais caractère avait découragé des éventuels parents adoptifs. Mais elle en avait pris son parti, elle s’en moquait parce qu’un jour elle aurait sa revanche.

 Et là, blottie sous les couvertures, Lilou ne savait plus quoi penser. Elle ne comprenait toujours pas ce qu’il lui était arrivé. Ses parents l’adoraient et ils l’avaient laissée. Partis pour toujours. Croupir ici. Le Père Noël et le petit Jésus… De grosses larmes roulèrent sur ses joues. Des larmes qui se transformèrent en perles. Elle s’assit et prit les perles dans ses mains. Comme elles étaient belles, blanches comme de la neige, nacrées, irisées. Elles brillaient comme des milliers de lumières. Lilou écarquilla les yeux, elle vit apparaître un visage :

 –          Maman ?

–          Non Lilou, je ne suis pas ta maman, je suis ta fée. Je suis venue te chercher pour faire un beau voyage.

–          C’est vrai ?

–          Suis-moi.

 La fée posa Lilou sur un nuage tout blanc et elles grimpèrent jusqu’au ciel. La fée lui parla du paradis. Elles arrivèrent dans un grand jardin où il y avait des fleurs de toutes les couleurs, des oiseaux merveilleux avec de longues plumes. Le soleil brillait de mille feux. Il y avait beaucoup de gens qui chantaient, ils avaient l’air tellement heureux.

–          Tu es au paradis Lilou.

–          C’est vrai ? Comme c’est beau ! Mais alors je vais voir mes parents ? Sœur Claire m’a dit qu’ils étaient au Paradis.

–          Tu vas les voir, ils sont au bord du lac. Ils t’attendent.

 Elle partit dans la direction indiquée par la fée. Ses parents étaient là et lui tendirent les bras :

 –          Ma chérie lui dit sa maman, comme tu as grandi, mais tu as maigri aussi. Viens mon cœur.

–          Maman, maman, pourquoi vous êtes partis sans moi, hein, pourquoi ?

–          Nous ne sommes pas responsables ma chérie, on a été obligé tu sais, mais nous étions très tristes de te laisser.

–          Viens ma beauté lui dit son papa, viens contre moi que je te respire.

–          On va rester ensemble maintenant ?

–          Non ma chérie, mais très bientôt tu auras une surprise, une très grande surprise. Tu auras un papa et une maman, ils ne nous ressembleront pas physiquement, mais ils auront notre cœur.

–          Mais c’est vous que je veux !

–          Chut, mon bébé, chut, viens te reposer contre moi, viens.

 Lorsque Lilou se réveilla, elle trouva une jolie poupée sur son oreiller. Elle l’embrassa et la serra contre elle. Ah ! C’est Margot qui allait être surprise d’apprendre que le Père Noël, et bien, il était venu.

 Sœur Claire arriva en courant :

 –          Lilou, dépêche-toi de t’habiller, tu as de la visite.

–          Mes parents sont venus me chercher ?

–          Lilou, tu sais bien qu’ils sont morts et qu’ils sont au paradis !

–          Je sais, j’y suis allée au paradis et ils m’ont dit …

–          Voyons, ne dis pas de bêtises, allez, allez, plus vite !

–          C’est ma tante alors ?

–          Ta tante ? On ne sait pas où elle est ta tante !

 Sa tante, pensa sœur Claire ? Une garce ! Pardon Seigneur, mais elle avait renoncé à ses droits de tutrice ! Si ce n’est pas malheureux !

 Elle expliqua calmement à Lilou que des gens très gentils étaient venus la chercher pour l’adopter car ils n’avaient pas eu la chance d’avoir des enfants, et ils rêvaient d’avoir une petite fille comme elle. Qu’ils avaient une belle maison avec un grand jardin et qu’ils avaient beaucoup d’amour à lui donner.

 Lilou pensa que sa maman ne lui avait pas menti. Elle allait avoir des nouveaux parents, mais avec les cœurs de ses vrais parents. C’était formidable.

 Lilou prépara ses affaires pendant que sœur Claire défaisait son lit ; elle avait le cœur gros sœur Claire, elle s’était attachée à cette petite fille, mais elle ne devait pas être triste ; elle éprouvait toujours du chagrin au départ des enfants dont elle s’occupait, mais pour Lilou c’était différent, comme si on lui arrachait un morceau de son cœur.

 –          Dis-moi Lilou, c’est quoi ça ?

–          Une perle.

–          Je vois bien que c’est une perle, mais où l’as-tu prise ?

–          C’est un secret entre la fée et moi.

–          Un secret entre la fée et toi ? Tu ne l’as pas volée au moins ?

–          Promis juré que je ne l’ai pas volée !

–          On ne jure pas Lilou, on ne jure pas !

 Sœur Claire haussa les épaules. Bof ! Ce n’était pas si grave ! C’était si bon de rêver. Elle-même rêvait souvent que tous les enfants de l’orphelinat trouvaient des parents gentils, qu’elle allait sauver de la mort les enfants du Darfour, qu’elle parcourait le monde pour aider tous les malheureux, et ça des malheureux il n’en manquait pas !

 Lilou voulu dire au-revoir à Margot qui l’attendait d’un air renfrogné.

 –          Alors, ça y est, tu pars ?

–          Oui, mes parents sont venus me chercher.

–          Tes parents ?

–          Pas mes vrais parents, d’autres parents mais avec le cœur de mes vrais parents. C’est ma vraie maman qui me l’a dit cette nuit !

–          Lilou, je crois que tu débloques à fond !

–          Non, pas du tout, écoute je vais te confier un secret, mais tu ne le diras à personne, promis ?

–          Ouais !

 Elle lui raconta son voyage au paradis, la fée, les perles. Margot n’en croyait pas un mot, mais Lilou avait tellement l’air sûre d’elle, ses yeux étaient si brillant que Margot eut envie de la croire, oui, elle avait vraiment envie de la croire.

 –          Tiens, je vais te donner cette perle magique, comme ça toi aussi il t’arrivera quelque chose de bien. Peu-être que cette perle te fera grandir très très vite ?

–          Tu ne m’oublieras pas, dis, tu ne m’oublieras pas ?

–          Mais non, je t’écrirai, et je dirai à mes parents de t’inviter. D’accord ?

–          D’accord.

 Elles s’embrassèrent et Lilou partit en courant vers sa nouvelle vie.

 Margot regarda la perle puis la mit dans sa poche. Elle aussi elle aurait son jour magique, maintenant elle en était sûre.