Autrefois,dans le comté de Foix, vivait Maturin Madrange. Une tête ronde un peu dégarnie, des yeux rieurs, des joues roses et une bouche charnue donnaient à ce curé de campagne un air enjoué et affable. Ce bon chapelain avait un secret. Chaque Dimanche après l’office, il se rendait en catimini à la crypte. Cette catacombe regorgeait de délicieuses denrées dont les fumets flattaient ses narines : saucissons séchant sous la cendre, jambons suspendus, pâtés en croûtes en conserve, bouteilles de vins de pays. Mais surtout des dizaines de foies gras sommeillaient à foison dans des jattes de terres bien scellées. A la tombée du jour, en prenant mille précautions, il remontait ces denrées telles de précieuses reliques. Au presbytère, il engloutissait de grosses parts de ce pâté délectable, sur de larges tranches de pain. Parfois, il découpait dans les jambons de grosses lamelles de lard ou dévorait tout entier des saucissons à l’ail (l’ail pouvant à l’occasion éloigner les vampires et autres suppôts du diable). Une autre fois, c’était des foies d’agneau et des foies de veaux qu’il faisait rissoler dans l’âtre. Pour faire glisser le tout, il rinçait son gosier de ce petit vin blanc qu’on boit habituellement sous les tonnelles. Toutefois, à force d’enfourner ces nourritures terrestres (au lieu de se sustenter de nourritures célestes) son ventre s’arrondissait et son foie engraissait un peu plus chaque jour. Par un Dimanche de printemps, tandis que résonnaient les cloches et qu’il enfilait sa chasuble de dentelles, il entendit un brouhaha étrange du fond de la sacristie. L’homme d’église se hâta. Il ouvrit la porte épaisse qui menait à l’office. Saisi d’une sainte frousse il s’arrêta net : « Sapristi de sapristi mais que m’arrive-t-il ? » s’écria le bon curé épouvanté (Il avait les foies !). Sur les bancs de la nef, une dizaine de canards de Barbarie s’étaient installés au premier rang. Ils caquetaient en grand tapage en attendant le début de la messe. Derrière eux deux douzaines d’oies blanches de Toulouse gloussaient bruyamment, faisant voleter autour d’elles des plumettes comme des flocons de neige. A leur suite, quelques agneaux un peu tremblants chevrotaient. Tout au fond, six têtes de veaux mugissaient. Enfin, une famille de cochons, qui n’avaient pas l’air content du tout, s’agitaient en grommelant. La veille (contrairement à son habitude qui voulait qu’il ne pêcha que le Dimanche après l’Angélus du soir), le brave homme n’avait su résister à de suaves victuailles achetées le matin même au marché avec l’argent de la quête. Il s’en était mis ras le gosier (« Dieu que c’est bon, ce ne sont que quelques gourmandises » pensait-il). Persuadé d’une diablerie hallucinatoire due à une digestion qui n’en finissait pas, Maturin s’arma de courage et grimpa tout en haut de la chaire, sans que cette étrange assemblée le remarque. Les canards furent les premiers à l’apercevoir et déclamèrent : « Père Madrange, Saint-Pierre en personne nous a fait descendre du Paradis des animaux martyrs. Il a bien tenté de vous joindre (comme le Seigneur le fit avec Don Patillo qui avait un sérieux penchant pour les pâtes *) mais il n’avait pas de réseau. Alors, il vous a envoyé des signes divins censés faire cesser vos ripailles, comme ces lourdeurs d’estomac et ces migraines à vous assommer un bœuf. Mais vous étiez trop occupé à vous empiffrer. Nous sommes les envoyés du Ciel et nous avons le devoir de vous sermonner. Dieu a fait les animaux pour servir les hommes mais là vous exagérez. Imaginez ce que nous endurons à cause de vous. Vous devez faire pénitence pour racheter votre conduite. La gourmandise est un vilain défaut (mais pas les pruneaux**). Il faut vous ressaisir et surmonter votre crise de foi. Sinon, vous irez au Purgatoire servir des saucisses grillées à Belzébuth et ses comparses, 500 ans durant, sans pouvoir même en goûter une ! ».
« Oui oui, répondirent en chœur ces drôles de paroissiens, vous les hommes vous prenez notre viande, nos plumes, notre lait, notre laine, notre fourrure, nos cornes, nos sabots, on est d’accord mais faut pas pousser, tout est bon chez nous mais vous vous servez sur nous comme à Carrefour. » Atterré par ces remontrances divines et ces suppliques animales, Maturin Madrange, qui, malgré les apparences, avait le cœur plus gros que le ventre, mit genoux à terre et implora la clémence divine. Dans son infini bonté, Dieu (qui n’est pas un enfoiré) lui accorda une grâce : le bon Maturin devint aussitôt végan. Dès lors, par acte de foi, il défricha un lopin de terre à côté de l’église pour cultiver des légumes bio. Il se nourrissait de boulgour, d’épeautre et même de quinoa qu’il faisait venir tout exprès de la Cordillère des Andes. Il se mit à aimer les soupes de légumes et les gratins sans fromage, et se délectait des fruits de saison. Après l’office, Il portait la bonne parole de foire-expo en foire-expo, vêtu d’une chasuble jaune, pour ne pas se faire renverser par les muletiers, les blacks-blocs (de foie gras) et autres ribauds de grands chemins. Par la suite, il se prit à militer pour la cause animale et toute ses formes d’aliénations au côté de Green Peace, WWF et L214. Il rencontra même le capitaine Watson, ferveur défenseur des mers et des océans. On l’aperçut plusieurs fois en compagnie des écolos de tous poils. Il se lia d’amitié avec le porte-parole d’EÉLV (Europe Ecologie Les Verts). Il dîna même un soir à la table de Nicolas Hulot ! A ce rythme, il perdit rapidement ses kilos superflus et y gagna une forme olympique. Dans chaque foyer du comté, on ne parlait que de cette rémission miraculeuse. Le père Madrange prêcha ardemment pendant de longues années. Il vécu 120 ans grâce à une alimentation équilibrée valant bien le régime crétois. Quant aux animaux de l’office, ils regagnèrent dare dare leur Paradis et ses vertes prairies.
* De 1975 à 2000, la marque Panzani engagea le comédien-imitateur André Aubert pour vanter ses produits. Il a ainsi tourné des dizaines de spots, toutes inspirées de la saga cinématographique « Don Camillo » avec Fernandel.
** Une autre publicité pour les pruneaux d’Agen à la fin des années 70, certains s’en souviendront j’en suis sûre.