Le Pont des Arts

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Décidément les fêtes de Noël inspirent nos contributeurs ! Mais pas dans le sens où l’on s’attend. Leurs pensées généreuses se tournent vers les défavorisés, vers les malaimés de la vie pour qui Noël, et tout ce qu’il représente, n’est qu’un mythe, un vieux souvenir, une utopie, juste un beau rêve.

Ainsi, après Marcal et sa Lettre au Père Noël, voici un texte d’LN traitant du même sujet, mais avec un style différent. Il y a une certaine forme de violence dans cet écrit, celle qui évoque la condition des sans-abris. Il y aussi de la douceur et de la nostalgie. La mort est là qui rôde, mais elle est tenue à distance par une furieuse envie de vivre. On trouve encore de la solidarité, et de la convivialité entre laissés pour compte, en même temps que l’indifférence et l’incompréhension des gens « normaux ».

Toutes ces notions antagonistes apportent au texte une grande richesse, ainsi qu’un immense réalisme. C’est peut-être dans le but d’accentuer son réalisme qu’LN a choisi des photos plutôt que des dessins pour l’illustrer.

Ici, on quitte un temps le domaine du merveilleux et de la fiction (sans trop s’en éloigner tout de même), pour confronter nos certitudes à la réalité du monde. C’est aussi ça Ecri’Service : la diversité des regards !

LE PONT DES ARTS

Les boules de Noël : fiction ?

Ces nuits sont les plus froides de l’année et cependant les plus lumineuses.

Des milliers d’étoiles, des milliers de soleils font escale dans les rues et les magasins de Paris. Guirlandes multicolores, cadeaux dans les vitrines, Paris brille, scintille, s’illumine. Mes yeux sont hypnotisés par toute cette lumière et une réminiscence de joie serre ma poitrine. Je redeviens un moment petit garçon. Je me revois tirer la main de maman vers le magasin de jouets pour que l’on s’arrête un instant, juste regarder, c’est si merveilleux !

Je marmonne : « je sais que l’on n’est pas riche maman, mais laisse-moi rêver, un instant seulement ». Un passant me bouscule, il me sort de ce souvenir lointain. Les gens autour de moi sont heureux, je le sens. Je le sens parce qu’ils me tiennent chaud. J’aime errer dans la ville juste avant Noël, la nuit arrive tôt mais les rues sont encore pleines et chaudes, chaudes de chaleur humaine et ô! deur de marrons grillés. Tous se préparent et préparent La Fête de la famille. Je croise des regards de gêne qui se détournent très vite, de bienveillance qui me sourient et parfois mettent la main à la poche, ouvrent leur porte monnaie, donnent quelques pièces, d’autres plus moralisateur peut-être me donneront un morceau de pain ou une orange. Je leur crie «du vin nous tiendra bien plus chaud ce soir à Lolo et à moi msieur !»

Lolo c’est mon compagnon d’infortune, un clochard parisien comPont des arts II by LNme moi, depuis six Noëls qu’on traîne ensemble. Il y avait aussi Arthuro, un italien philosophe. Il nous racontait des histoires pour réchauffer notre âme et notre cœur disait-il. On l’a ramassé la semaine dernière sur un banc du RER. Mort. Ensemble on refaisait le monde, en beau. C’était bon.

Ce soir avec Lolo nous avons décidé de nous offrir le Pont des Arts pour fêter la naissance du petiot. Nous picolerons à son avenir, et au nôtre ! Car le petit Jésus il est né nu comme nous aujourd’hui et dormait dehors comme nous, lui dans la paille, nous sous les cartons.

Je m’arrête devant ma vitrine préférée : le traiteur Alexandre. Des porcelets bien dodus, des homards entourés de petits soleils de mayonnaise, des canards parsemés de truffes, du boudin blanc. J’en bave de la bouche et des yeux. Un couple en sort les bras chargés de paquets. L’homme a une bonne bouille, je lui accroche le bras pour lui dire que… Je fais peur à sa dame, c’est sûr je pue un peu ! « Je voulais juste vous dire que ce soir à minuit tapante je serai avec Lolo sous le Pont des Arts ». Juste lui dire ça, qu’il sache. Ils s’en vont sans me répondre, se serrant l’un contre l’autre. « Joyeux Noël ! » que je leur crie. Et ce cri résonne en moi telles les vibrations finissantes d’un gong, puissance dérisoire de mots auxquels l’on ne croit plus. Tout à coup j’ai froid.

Texte écrit en hommage aux Enfants de Don Guichotte.