Le pensionnat

Pendant quelques minutes Sylvie s’était demandée ce qu’elle faisait là dans la cour de ce pensionnat entourée d’une centaine de jeunes filles ! Elle avait raté son examen, l’oral de rattrapage avait été une torture pour elle. Elle avait bafouillé quelques phrases à l’examinateur et en connaissait par avance le résultat. Il était hors de question qu’elle fasse une autre année dans ce collège, elle détestait ses professeurs, la directrice, aucun d’eux n’avaient essayé de la comprendre. Ils ne savaient que dire « élève moyenne ». Elle n’arrivait plus à se concentrer dans le désordre familial dans lequel elle vivait, il fallait qu’elle s’éloigne. L’idée lui était venue tout à coup, elle irait en pension. Cela avait été comme une évidence.

La voix de la surveillante générale la fit sortir de ses pensées. Elle n’avait rien entendu de son discours, seulement « Vous pouvez regagnez votre dortoir. Le repas sera servi au réfectoire à dix-neuf heures. Merci de votre attention ».

Dès l’arrivée des pensionnaires, une fiche leur avait été donnée avec le numéro de dortoir et quelques consignes de base. Dortoir numéro 7, 12 lits, premier étage. Sylvie avait monté sa valise avec ses camarades. Les plus malignes s’étaient appropriées les lits près des fenêtres, Sylvie et les autres avaient pris ceux qui restaient. Christine, dont elle apprit le prénom bien plus tard, pleurait et s’était assise sur le lit à côté du sien. Elles avaient ainsi fait connaissance et ne devinrent pas les meilleures amies du monde mais plutôt de très bonnes copines. Christine ne voulait pas venir en pension, elle disait que ses parents l’avaient obligé, elle reconnaissait qu’elle n’avait rien foutu au collège, mais quand même, en pension, c’était une horrible punition. Sylvie avait alors pensé que peut-être elle avait voulu se punir elle-même, mais se punir de quoi ?

Les deux premiers trimestres s’étaient déroulés sans trop de problème. Sylvie avait trouvé son rythme. Bien sûr quelquefois le soir elle pensait à ses parents et un pincement au cœur se faisait sentir, mais d’un autre côté elle vivait loin du tumulte, des disputes incessantes, et elle arrivait presque à être apaisée. Ses résultats scolaires étaient très bons.

Au milieu du troisième trimestre Christine était tombée malade. Un matin elle n’avait pu se lever du lit tant elle était fiévreuse. L’infirmière, puis le docteur, s’étaient occupés d’elle et le jour-même ses parents étaient venus la chercher. Deux semaines après, la surveillante générale avait réuni les élèves pour leur annoncer : « Votre camarade Christine est décédée d’une leucémie foudroyante. Les obsèques auront lieu jeudi. Que les élèves qui veulent y assister le fassent savoir ».

Cela avait été un choc. Le soir dans le dortoir aucune des filles n’avait réussi à dormir et toutes s’étaient questionnées : Cela voulait dire que Christine était morte ? Qu’elle ne reviendrait plus ? Comment était-ce possible ? Sylvie, quant à elle, ne comprenait plus rien, comment pouvait-on mourir comme ça ? Une leucémie foudroyante, c’était quoi ? Et la mort c’était quoi exactement ? Personne n’était mort dans sa famille ou alors elle ne s’en rappelait plus.

Même le cercueil dans l’église n’avait pas déclenché l’émotion que Sylvie attendait. Elle aurait voulu pleurait elle aussi comme les parents de Christine, mais elle n’y arrivait pas. Il faut dire qu’elle avait déjà pas mal épuisé son quota de larmes et que peut-être la carapace qu’elle s’était fabriquée la protégeait. Mais un soir, pendant l’heure d’étude, elle avait écrit un poème à la mémoire de Christine. Elle aurait bien voulu l’envoyer à sa famille mais elle n’avait jamais osé le faire.

Aujourd’hui Sylvie regrette de ne pas l’avoir fait mais il est trop tard. Avant elle ne savait pas vraiment ce qu’était la mort, à présent elle sait que c’est l’absence de vie.

Avatar