LE NAIN GOURMAND

Il était une fois un garçon de très petite taille qui avait bon caractère. Il était assez insouciant et se satisfaisait de la contemplation des beautés du monde qui nous entourent, que ce soit le chant des oiseaux, les rugissements de la mer en furie, les couleurs chatoyantes des fleurs ou le charme des jeunes filles.

Les humains qui sont toujours prêts à er les choses en catégories et à faire la même chose avec les gens disaient que ce garçon, qui soit dit en passant se nommait en fait Maxime…( et oui) était un nain. Mot de petite taille servant à désigner des garçons de petite taille…

Maxime, qui était assez jeune, avait pourtant un défaut. Oh ! pas un gros défaut. Il était gourmand. Gourmand des bonnes choses sucrées. Alors si on lui proposait un dessert de bonne facture, il était bien capable d’en reprendre, d’en re-reprendre, et même de demander à finir le plateau.

Une spécialité qui lui plaisait tout particulièrement, c’était une sorte de crème épaisse à base de bon miel, de lait de chèvre et de jaunes d’œufs savamment battus ensemble. La crème ainsi obtenue était mijotée à petit feu pendant un moment, avant d’être versée sur une plaque de marbre bien froide. Là, elle se prenait en masse pour donner quelque chose de dur et d’une belle couleur beige qui fondait lentement sur la langue. Un vrai délice.

Malheureusement, le pâtissier qui confectionnait ce délice prit un jour sa retraite. Maxime le supplia de renoncer à ce funeste projet. En vain. Toutefois, le vieux pâtissier consentit à lui donner la recette de sa douceur, et à lui confier le petit secret qui prévalait dans sa fabrication. Il lui légua même les instruments nécessaires à la fabrication de cette douceur, en particulier la vieille plaque de marbre.

Alors Maxime put s’adonner à son péché mignon (mais était-il vraiment mignon ?) et fabriqua journellement sa plaque de friandises qu’il s’empressait de consommer avant la nuit.

Le résultat ne se fit pas attendre. Maxime inévitablement prit du poids. Beaucoup de poids. Et comme il n’était déjà pas grand, cela se vit comme le nez au milieu de la figure. Maxime put voir changer le regard des gens, et cela le rendit malheureux. Mais comment faire ? Se priver de la douceur ? Que nenni !

Un matin où il avait laissé chez lui la friandise à refroidir sur la plaque de marbre, il sortit prendre l’air et s’assit sur un banc sur le boulevard, en bas de chez lui. Quelques instants passèrent, et un drôle de bonhomme vint s’asseoir à l’autre bout du banc, vêtu d’une drôle de veste vert-pomme, un chapeau pointu sur la tête, vert également. Il portait sur ses jambes une espèce de collant tout aussi vert et une paire de drôles de pantoufles pointues à bout recourbé. Le drôle de bonhomme, qui avait un long nez et une bouche malicieuse fendue pratiquement d’une oreille à l’autre, l’ouvrit pour s’adresser à Maxime : « Belle journée, ce matin, non ? ». Maxime, surpris de cette verte interpellation, répondit tout aussi vertement : « Mouais…mouais… ». L’autre répondit : « Ne vous fâchez pas… J’ai l’impression que vous êtes soucieux… Quelque chose qui ne va pas ? Parlez en confiance. ».

Alors Maxime déballa tout : l’étiquette de nain qu’il traînait, son goût pour les douceurs, la retraite du pâtissier, sa surconsommation de friandises et sa prise de poids. L’autre, qui tenait son menton d’une main, l’air attentif, réfléchit un moment quand Maxime eut terminé, puis répondit : « Hmmh… Je vois… je vois. Et votre friandise, vous pourriez m’en faire goûter ? ».

Alors Maxime invita le drôle de bonhomme à le suivre et lui fit goûter la douceur qui avait refroidit et était à point. « Mmmmhhh ! » fit l’homme, félicitant Maxime pour son talent. Puis après avoir terminé le bâtonnet qu’il suçait avec délectation, il s’essuya les lèvres avec soin à l’aide d’un mouchoir de baptiste vert qu’il avait tiré de sa poche. « Pourquoi ne pas commercialiser votre préparation ? » dit l’homme à Maxime qui tomba des nues.

Après une longue discussion avec l’homme vert, Maxime fut convaincu et décida de vendre sa préparation. L’homme lui avait conseillé de monter les petites portions de douceur sur des bâtonnets de bois, de leur donner une forme pointue comme son chapeau, et d’envelopper chaque pièce dans un joli emballage de papier sulfurisé. Il lui indiqua ce qui lui serait nécessaire, tant au point de vue local que matériel pour lancer sa production et lui donna quelques adresses utiles. Il restait à trouver un nom au produit. Maxime choisit sans hésitation : ce seraient les « sucettes Le Nain Gourmand »…

Alors Maxime passa ses journées dans son atelier, il embaucha un ouvrier, deux ouvriers, et encore plus, si bien qu’il en oublia complètement de consommer les sucettes qu’il fabriquait et même de goûter aux douceurs. Le travail et une alimentation moins sucrée eurent pour résultat de lui faire retrouver sa ligne d’autrefois. Maxime en fut enchanté…

Au bout d’une année de fabrication et de succès des ventes de sucettes « Le Nain Gourmand », Maxime compta ses sous. Il n’en revint pas : il était presque riche. Alors il décida de travailler encore plus, et demanda à ses ouvriers d’en faire autant, et les sous arrivèrent en encore plus grand nombre. En lisant sur son grand livre les résultats de son affaire, Maxime retrouva une satisfaction qu’il connaissait bien : le même plaisir que lorsqu’il s’empiffrait de douceurs. Et pour retrouver ce plaisir, il comprit qu’il devrait toujours engranger plus de revenus des sucettes. Pour cela, il fallait trouver de nouveaux clients. Tous les enfants étaient déjà clients chez lui. Alors il visa la clientèle des papis et des mamies, et lança la sucette « Silver Size Le Nain Gourmand » qui eut un succès considérable chez les seniors. Et puis après… après ? Mais qui trouver comme nouveaux clients ? Les papas et mamans ? Bien trop occupés pour avoir le temps de consommer des sucettes !

La mélancolie le prit. Il ne voyait pas d’issue à son problème. Un beau matin où l’usine de sucettes tournait à plein régime, il sortit prendre l’air et s’assit sur un banc sur le boulevard, en bas de chez lui. Quelques instants passèrent, et une jolie jeune fille élégamment vêtue de noir et de blanc vint s’asseoir à l’autre bout du banc. La belle élégante, qui avait un petit nez retroussé à ravir, un teint de rose et une jolie bouche vermeille, l’ouvrit délicatement pour s’adresser à Maxime : « Belle journée ce matin, non ? ». Maxime, surpris de cette charmante question, répondit : « Euh… euh… oui ! Oui ! C’est vrai hein ! » Alors la demoiselle reprit « N’est-ce pas ? Et pourtant, vous avez l’air… euh… soucieux. Est-ce que je me trompe ? »

Alors Maxime déballa tout : les sucettes « Le Nain Gourmand », les ventes qui progressent, les sous qui rentrent, le plaisir à voir l’affaire

prospérer, mais comment faire encore mieux ? La jeune fille, qui tenait son menton d’une main, l’air attentif, réfléchit un moment quand Maxime eut terminé, puis répondit : « Hmmh… je vois… je vois. Et votre friandise, vous pourriez m’en faire goûter ? » Alors Maxime tira de sa poche une sucette enveloppée dans son joli papier coloré, et la tendit à la belle qui la goûta délicatement. « Mmmmhhh ! » fit la belle, félicitant Maxime pour la qualité de son produit. Puis après avoir terminé le bâtonnet qu’elle suçait avec délectation, elle s’essuya les lèvres avec soin à l’aide d’un mouchoir de baptiste qu’elle avait tiré de son sac. « Pourquoi ne pas partager votre fortune ? » dit la fille à Maxime qui tomba des nues.

Après une longue discussion avec la jeune fille, Maxime fut convaincu et décida de partager tout ce qu’il gagnait ainsi que le travail qu’il faisait. Il transforma son affaire en coopérative, prit tous ses ouvriers comme associés et retourna lui-même à la fabrication des sucettes.

De plus, il demanda sa main à la jeune fille, qui accepta avec plaisir. La demoiselle, qui se prénommait Benjamine épousa donc Maxime. Elle était d’une belle taille. Le jour du mariage, elle dit à Maxime qu’il pouvait se grandir un peu, s’il le désirait, en mettant des chaussures à talonnettes. Mais Maxime refusa catégoriquement, et demanda même à Benjamine de chausser pour sa part des escarpins à hauts talons qu’elle aimait bien porter. Bien entendu, sur les marches de la Mairie, le petit Maxime au bras de la grande Benjamine, cela faisait un peu décalé, et les gens riaient discrètement. Mais cela était bien égal à Maxime, qui avait trouvé le bonheur lorsqu’il avait décidé de partager. De tout partager… tout ? Sauf Benjamine, évidemment !

Benjamine et Maxime vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants : des grandes et des petits, des petites et des grands, et tous partagèrent l’amour que leur portaient Papa et Maman…