Maitre Corbeau sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage.

Maitre Renard à l’odeur alléché, lui tint à peu près ce langage.

-Sire Corbeau….

-Croa le renard ! Mes potos m’ont parlé de toi. Si tu penses me carotter mon Pérail comme tu l’as fait à mon arrière de l’arrière de mon vieux, c’est que tu cherches l’embrouille ! Je suis chaud moi,  je n’ai pas les foies ! Si tu veux mon fromage, allonge le flouze.

Le renard incrédule, le dévisage puis répond :

-Sire Corbeau, je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites. De plus je ne connais point votre aïeul. Je serai votre obligé si vous daignez éclairer ma lanterne.

Le corbeau croasse de rire et se dandine d’une patte sur l’autre.

-D’où il sort celui-là avec sa queue en panache bien lissée. Tu n’es pas du 09 toi … « vous daignez éclairer ma lanterne »….Bon il est vrai que tu en as bien besoin,   tu ne m’as pas l’air d’être une lumière ! Ecoute frérot, tu ferais mieux de courir après la galette,  car mon fromage tu ne l’auras pas.  Foi de corbeau, si tu y touches, on ne fera qu’une bouchée de toi avec ma meuf  la cigogne.

Le renard effrayé fait un pas en arrière, vacille, et tombe à terre, inanimé.

-Hé ho mec ! Relève-toi, sinon les keufs vont arriver et me mettre au placard. Le corbeau chatouille du bout de son aile le nez du renard. Celui–ci ne bouge pas. «  Bon je m’arrache au plus vite ! » dit le corbeau peu rassuré et prêt à prendre son envol.

Le renard, dans un souffle :

– Restez, je vous prie, mes sels, je me meurs, je n’ai rien mangé à ventre déboutonné depuis plusieurs jours. Mon estomac  crie famine.

Le corbeau observe le ventre du renard, approche sa tête avec précaution, et croasse à nouveau de rire.

– Eh !  Tu croyais m’avoir ! On me l’avait jamais encore faite celle-là. « Manger à ventre déboutonné » ben… si tu le déboutonnes, tout tombe ! Et adieu veau, vache, cochon. Tu peux crier, ils sont déjà loin. T’es zarbi comme renard mais je commence à te kiffer. Bon alors dis-moi ma biche, tu as mal où ? Au  foie !

-Non j’ai les crocs, dit le renard d’une voix agacée, tu as compris maintenant.

-Ok ok, ne soit pas vénère, on ne va pas s’enfader parce que tu n’as rien à grailler. Ecoute-moi  frérot, j’ai un deal à te proposer. C’est jour de marché à Foix. Je vais aller te chercher quelque chose à bâfrer et toi, en échange, tu vas dire au  monde entier  que Messire Robinet ou La Fontaine, bref que machin s’est trompé et que je suis bien le phénix de ces bois. Je vois cela d’ici ! Mes potos viendront me manger sur le bout des ailes, et les meufs roucouleront sur mon passage. Qu’en dis-tu ?

– Ma vie dépend de toi, beau phénix. Tu sembles le plus fort de ces bois, aussi si tu me sauves, je te jure, sur mon honneur que je suivrai ce pacte répondit le renard d’une voix douce.

Aile et patte checkées, l’oiseau noir prend son envol pour Foix. Il sait que jour de marché c’est journée d’abondance mais aussi de danger car la police est de sortie. Mais aujourd’hui, c’est jour de chance. Il voit une dame âgée  sortir d’un magasin, un panier à la main. « Voilà une proie facile » se dit-il. Il  fonce dessus sans hésiter  en évitant de justesse le parapluie qui se lève vers lui. Le panier tombe, pommes et tomates roulent dans le caniveau, seul un poulet  reste au pied de la vieille dame. Un deuxième passage s’impose mais près du sol c’est encore plus risqué, d’autant que les passants délaissent les étals pour sauver la vieille femme. C’est alors qu’il aperçoit un paquet blanc oublié sur le bord du camion de la bouchère. Il vole tel un mirage  en ajustant au mieux sa trajectoire pour atteindre l’objectif. Le paquet dans son bec il rejoint le renard allongé dans le bois et  le dépose sous son nez.  « Alors frérot dit-il  triomphalement, qui est le phénix de ces bois ? »

Le renard soulève le papier, et mange d’une seule bouchée ce qui s’offre à lui, puis d’un bond, se dresse sur ses pattes.

-Ecoute l’oiseau, apprends que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute et La Fontaine serait MDR de te voir ! Merci pour ce bon gros foie de génisse et pour le Pérail mangé en ton absence. Je te salue Frrrérot !

Le corbeau resta sans mot. Il n’osa même pas dire encore une fois qu’on ne l’y prendrait plus.