Laisse-moi te raconter une petite histoire, celle de Timothée.

Timothée, était le p’tit gars de Dédé et Marie de la ferme des Galabert.

Les années passaient sans que le couple n’ait d’enfant. Marie Galabert, fille pieuse, priait chaque jour pour qu’un fils arrive dans leur foyer et rallume la flamme dans les yeux de son Dédé. Et cela arriva, un soir de décembre, comme pour le petit Jésus. Marie mit au monde Timothée.  

Depuis, elle disait à tout vent que Dieu, en personne, lui avait confié un ange en garde sur cette terre.

Il était vrai que Timothée était un gentil garçon, toujours joyeux, rieur, calme et doux. Un enfant facile et serviable. Tous, au hameau, l’aimaient beaucoup. Malgré son jeune âge, il aidait à la ferme et aussi à la maison. Il triait les légumes à la cuisine pour sa mère, rentrait les vaches à l’étable pour soulager son père, donnait à manger aux poules, faisait la lecture à la mamie vieille, et était aussi très bon élève en classe.

Je vous le disais bien, c’était un ange. 

Chaque jour, il devait parcourir un bon kilomètre à pied pour se rendre en classe. Il y avait bien un raccourci qu’empruntaient tous ses camarades, mais il fallait traverser la rivière sur un gros tronc d’arbre, jeté entre les deux rives par des forestiers ; et cela Timothée n’en n’avait jamais eu le courage. Alors il donnait toujours un bon prétexte à ses copains pour ne pas les suivre. 

Parmi ses camarades, il y avait Elisa, une petite sauvageonne, intrépide, rigolote et terriblement belle. Tous les gars du coin étaient amoureux d’elle, et Timothée n’y échappait pas plus que les autres. 

Un jour, Elisa lui demanda à la sortie de l’école de l’accompagner chez sa tante au village pour lui apporter une course. Ainsi, elle ne serait pas seule pour le chemin du retour au hameau. Timothée fut comblé de joie à l’idée d’être seul avec la belle Elisa. En route, elle lui prit la main en riant, ce qui provoqua un grand trouble en lui. Elle lui raconta tout un tas d’histoires. Il était sous le charme. Quand, à la croisée des chemins elle voulut prendre par le raccourci, Timothée s’agita et tenta de la dissuader. Mais la petite peste avait pris sa décision. Timothée la suivit donc avec appréhension. 

Près de la rive, Timothée était en panique. La gorge sèche, les jambes tremblantes, il ne pouvait plus avancer.  Elisa, elle, avait déjà traversé la rivière et l’appelait en riant et le traitant de poltron. Cependant, voyant bien qu’il se passait quelque chose d’anormal, elle traversa à nouveau avec aisance la rivière, et vit Timothée en pleurs, avouant ne jamais pouvoir passer par là. Alors, avec douceur, Elisa lui prit la main et l’emmena au bord de la rive. Dans un infini calme elle lui dit : « tu vas te tenir derrière moi, tes deux mains bien posées sur mes épaules, ferme tes yeux et laisse-toi guider. Nous allons traverser ensemble. Fait-moi confiance Timothée. » Elle sentait le corps du garçon trembler, alors elle avança comme promis à petit pas, et comme promis, ils traversèrent ensemble la rivière. Elle félicita Timothée de son courage et lui donna un baiser sur la joue. 

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans connaître le caractère de la petite sauvageonne.

Elle reprit la main de Timothée et l’emmena à nouveau vers la rive : « maintenant nous allons retourner tous les deux de l’autre côté, car j’y ai laissé mon cartable. Et là, tu vas garder les yeux ouverts, ok ? » Timothée s’exécuta, mais au milieu de la rivière, il bloqua. Elisa dut déployer toute sa persuasion pour le faire avancer à nouveau, et peu à peu, ils arrivèrent sur l’autre rive.

Timothée était épuisé par cet effort sur lui-même. 

Quand Elisa vit son compagnon reprendre des couleurs, elle attrapa son cartable et traversa seule la rivière. Puis elle cria à Timothée de venir la rejoindre. Le garçon fut surpris et son angoisse revint.  Elisa l’encouragea : « tu l’as déjà fait deux fois, allez courage ! Tu vas y arriver ! » Le garçon avançait à pas hésitants, il aurait voulu fermer les yeux et s’envoler comme l’oiseau au-dessus de l’eau.  Elisa continuait à l’encourager avec une délicate fermeté : « regarde droit devant ce sera plus facile, regarde-moi Timothée, et avance, doucement ! »

Il leva le regard vers elle, et vit son beau sourire et toute la confiance qu’elle avait en lui. Alors dire exactement ce qui se passa dans la tête de Timothée, personne ne le sait – pas même lui je crois. Toujours est-il qu’il traversa la rivière et vint rejoindre son amie. Elle applaudissait et criait « bravo Timothée ! » Il se sentit tout à coup fort, solide, et peut-être aussi un peu plus grand, et c’est certain terriblement heureux. 

Souvent, ce que l’on est réellement au fond de soi, notre beauté intérieure, se révèle dans le regard de l’ami.

L.N.