Dans un village niché au creux d’une vallée, vivait une jeune fille belle comme une journée de printemps, lorsque les fleurs commencent à éclore en répandant leur agréable parfum. Ses longs cheveux blonds ondulaient comme les blés sous la poussée d’un vent léger. Ses yeux d’un vert de jade et son sourire permanent éclairaient son beau visage. Elle était toujours d’humeur égale quoiqu’il se passe. Elle s’appelait Tempérancia.

Les jeunes gens l’appréciaient et surtout la désiraient. Les jeunes filles la jalousaient et pire, la détestaient. Surtout l’une d’entre elles, Adélaïde. Celle-ci était physiquement l’opposé de Tempérancia. Ses cheveux étaient aussi noirs que ses yeux qui semblaient vous transpercer jusqu’au fond de votre âme. Celle-ci ne supportait plus les roucoulades que faisaient les garçons dès qu’ils voyaient apparaître Tempérancia et décida qu’il fallait y mettre un terme. Elle était autoritaire et avait du caractère. Les filles lui obéissaient car la plupart la craignait. Surtout Sagéna, la plus jeune du groupe qui en faisait parfois des cauchemars la nuit. Elle rêvait qu’un immense corbeau, qui avait la tête d’Adélaïde,  la prenait dans ses griffes pour l’emporter très loin. Mais quand on est plus petite que les autres et que l’on se sent vulnérable, et bien on reste dans le troupeau ! Pourtant Sagéna aimait bien Tempérancia, elle pensait que  c’était un ange.

Tempérancia avait une drôle d’occupation qui intriguait les filles. Tous les jours elle partait à la rivière en emportant une jarre. Elle la  remplissait d’eau puis revenait chez elle et la versait dans un fût qui était devant sa porte. Elle se penchait et parler un langage que personne ne comprenait. Un jour Adélaïde et sa troupe eurent l’idée de mettre des grenouilles dans le fût, mais celles-ci s’enfuirent avant même d’avoir touché l’eau. Une autre fois, elles mirent de la terre à l’intérieur, mais l’eau resta claire. Puis ce fut une chauve-souris clouée sur la porte. Mais la chauve-souris s’envola avec le clou ! Les filles hurlèrent et avancèrent que Tempérancia était une sorcière. La rumeur circula dans tout le village : « Tempérancia est une sorcière ! Tempérancia est une sorcière !

Adélaïde décida de frapper un grand coup, il fallait que Tempérancia disparût de sa vue pour toujours. Un matin, elle et sa meute la suivirent jusqu’à la rivière en essayant de faire le moins de bruit possible et lorsque Tempérancia eut rempli sa jarre, elles lui jetèrent des cailloux en l’insultant. Tempérancia, surprise, lâcha l’objet qui se cassa en mille morceaux et tomba à l’eau.

–          Tu n’as que ce que tu mérites, lui dit méchamment Adélaïde.

–          Tu n’es pas celle que tu veux paraître lui répondit Tempérancia toujours avec le sourire, tu as de la bonté au fond de toi …

–          Pfft, sornettes ! Tu n’es qu’une sorcière et tu commences à nous ennuyer sérieusement avec tes airs de princesse. On se reverra. Allez les filles, on s’en va.

Elles partirent fières, Adélaïde en tête. Sagéna quant à elle ralentit son pas, se cacha derrière un arbre et regarda Tempérancia. Celle-ci sortit de l’eau mais ses vêtements étaient secs ainsi que ses cheveux. Sagéna en resta stupéfaite. Comment était-ce possible ? Tempérancia ramassa les morceaux de jarre, les posa sur un rocher et entonna une incantation en se balançant de droite à gauche. La jarre se reforma comme par enchantement. Les yeux de Sagéna faillirent sortir de leurs orbites. C’est une fée ! C’est une fée ! Pensa-t-elle ! Quand soudain une douleur lui transperça le mollet droit !

–          Aie ! Aie ! cria-t-elle.

Tempérancia leva la tête et aperçut Sagena assise sur le sol se tenant le mollet. Elle courut vers elle.

–          Tu m’espionnais Sagéna ? Que t’arrive-t-il ?

–          Une grosse araignée m’a piquée et ça me fait très mal. Je te regardais parce que pour moi tu es une fée. Et surtout Adélaïde me fait peur …

–          Je sais tout ça, mais Adélaïde a du cœur,  elle ne le sait pas encore et lutte contre ça. Ne bouge pas, je vais te soigner.

Tempérancia partit chercher sa jarre, la remplit d’eau, s’approcha de Sagéna, mouilla l’endroit de la piqûre, posa ses mains sur la plaie, ferma les yeux et chantonna. Quelques instants plus tard elle rouvrit les yeux :

–          C’est fini Sagéna, demain tu n’auras plus mal. Mais ne parle à personne de ce que tu as vu, ni comment je t’ai guérie, promis ?

–          Promis.

Les jours s’écoulèrent. Rien ne venait interrompre la félicité de Tempérancia. Les méchancetés d’Adélaïde n’arrivaient pas à l’atteindre. Cette dernière devenait de plus en plus sournoise, enragée. Même ses amies étaient fatiguées de ses caprices. « Arrêtons de la harceler cela ne sert à rien, lui disaient-elles ! JAMAIS crachait Adélaïde! » .

Un matin, Adélaïde ne bougea pas de son lit. Sa mère, inquiète, vint dans sa chambre. Elle la trouva prostrée, les yeux révulsés, de la salive brillait à la commissure de ses lèvres, elle était brûlante de fièvre. Elle la soigna en lui faisant boire des infusions de plantes, mais la fièvre persistait et Adélaïde délirait. Dans le village la plupart des gens disaient : « c’est à cause de la sorcière… C’est à cause de la sorcière … ! ».

Sagéna, elle, savait que ce n’était pas vrai. La haine qu’entretenait Adélaïde pour Tempérancia l’avait rendue malade. Elle se présenta chez Tempérancia et lui expliqua la situation. Il fallait qu’elle sauve Adélaïde.

–          Je sais Sagéna, le moment est venu pour Adélaïde de montrer son vrai visage. Je vais la guérir de ce mal qui la ronge.

Tempérancia s’installa chez Adélaïde avec l’accord de sa mère. Les murmures continuaient à courir dans le village. La sorcière … La sorcière… Mais personne n’osait s’approcher de la demeure d’Adélaïde. Dans son délire Adélaïde ouvrait les yeux de temps en temps et en apercevant Tempérancia criait : « va-t-en, va-t-en ! » Et elle retombait aussitôt dans un profond sommeil. Ainsi pendant plusieurs jours Tempérancia appliqua le même rituel : elle prenait l’eau de la jarre, en versait quelques gouttes sur le front de la malade, psalmodiait des litanies et lui tenait la main. Enfin, un matin, Adélaïde ouvrit les yeux, elle se sentait vidée de toute énergie. Elle tourna la tête et vit près d’elle Tempérancia qui lui souriait.

–          Tu es guérie, dit Tempérancia.

–          Que fais-tu ici lui demanda faiblement Adélaïde ?

–          J’ai veillé sur de toi pendant quatre jours et quatre nuits, je t’ai soignée afin que ton mal s’échappe.

–          Mon mal ? Mais quel mal ?

–          La haine.

–          T’es vraiment une sorcière alors ?

–          Appelle-moi comme tu veux. Je ne cherche qu’à rendre les gens heureux.

A partir de ce jour-là Tempérancia devint la meilleure amie d’Adélaïde. Le village retrouva son calme et les gens vécurent heureux dans la paix et la sérénité.

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