La lanterne magique

Jadis vivait dans la ville blanche, Michèle, une petite fille de 5 ans. Elle était heureuse auprès de sa famille et très attachée à ses grands-parents qui habitaient avec elle. Son grand-père, boulanger, lui portait chaque matin un petit pain façonné rien que pour elle. Un délice qu’elle aime d’ailleurs retrouver encore aujourd’hui quand le pain est chaud et croustillant.

Un jour un homme, qui n’était pas roi mais qui se comportait comme tel, avait décidé que sa famille et ses grands-parents devaient partir comme bien d‘autres familles dans un autre pays. Cela avait été un vrai déchirement pour Michèle, car ses grands-parents allaient vivre dans une ville éloignée de la sienne.

Après avoir habité pendant cinq ans une ville blanche et ensoleillée, Michelle arriva avec ses parents et sa grande sœur dans une ville minière, froide et triste. Elle avait découvert avec joie et appréhension sa première neige. Mais cela avait aussi été un moment de tristesse car elle ne pouvait pas partager sa découverte avec son grand-père. Mal logés et surtout devant beaucoup travailler, les parents de Michèle avaient décidé, la mort dans l’âme, de l’inscrire dans un pensionnat avec sa sœur. Chaque dimanche à dix-sept heures, Michèle quittait son cocon familial pour la pension. Elle pleurait toutes les larmes qu’elle n’avait jamais versées durant ses cinq premières années.

Le dortoir était immense, les lits en fer blanc étaient tellement hauts qu’elle avait toujours besoin de l’aide d’un adulte pour se coucher. Peut-être que cette aide était une excuse pour avoir une main maternelle avant de s’endormir et calmer son chagrin. Le bleu de la salle de bain n’avait pas la luminosité du ciel de sa ville blanche, et l’alignement de grands lavabos sous une lumière blafarde ne permettait aucune intimité. Pourtant, nombre de fois qu’elle restait, sous le regard moqueur d’autres enfants, à frotter ses pieds jusqu’à les faire rougir, car on l’appelait pieds noirs. Mais elle n’en comprendrait le sens que beaucoup plus tard. Le réfectoire lui paraissait chaque matin plus grand et elle se sentait perdue. Chacune des pensionnaires avait sa place, et bien-sûr sa sœur n’avait pas été mise à côté d’elle. Une voix faussement bienveillante lui avait susurré : « C’est pour t’aider à grandir ! » Alors sagement, les yeux rougis par les larmes, elle avait essayé de grandir sans se faire remarquer. Le seul lien avec sa famille était posé devant elle, sur la table. Une boite en métal où se trouvaient sa serviette de table soigneusement pliée et un petit pot de confiture de sa maman. Elle était restée une très longue année dans ce pensionnat. Puis ses parents ayant stabilisé leur situation, elle et sa sœur avaient pu retrouver avec joie leur foyer.

Bien des années plus tard, toujours marquée par cette période qui lui avait appris la déchirure d’une séparation et la différence voire le racisme, elle avait rencontré une bonne fée qui lui avait simplement dit ceci : « Le passé est une lanterne que nous portons sur le dos et qui éclaire le chemin que nous avons fait. »

Cette petite fille de cinq ans se retourna avec la femme qu’elle était devenue, sur le chemin parcouru. Elle vit que les belles rencontres qu’elles avaient faites et tous ces moments de bonheur vécus durant ces années avaient fleuri les monticules de terre qui n’étaient que les mauvais souvenirs. Elle décida alors de continuer à faire briller sa lanterne autant qu’elle le pourrait.