La force de l’empreinte de l’enfance

Le jour de mes 6 ans était rempli d’espoir car je m’attendais à un anniversaire plein de surprises et peut-être même à la présence des copains !!!
Mais c’était aussi un jour d’école et, dès le matin, il fallait se dépêcher. Une petite bise des parents, entre deux portes, effleura ma joue, avec un rapide « Bon anniversaire ma Coco ». Mon prénom était Nicole et non Coco et je ne voulais pas de cette « soi-disant » marque d’affection. D’autant plus que j’étais la seule de la fratrie à avoir un sobriquet ridicule. Personne n’en tenait compte bien sûr. Quelle idée ce surnom que je n’aimais pas : je n’étais pas un perroquet « coco, coco !! » Ce prénom n’était pas facile à porter car c’était un Nicolas qu’ils attendaient, en mémoire à leur premier garçon mort-né. Malheureusement, trois filles lui avaient succédé, à la grande déception de mon père. Et puis… ma naissance était prévue pour la St Nicolas et ils disaient que je m’étais faite remarquer en arrivant six jours avant… A cette époque je me sentais exclue et ne trouvais pas ma place. Alors j’en profitais pour me « coller » à ma sœur Monique, de deux ans mon aînée. De toute façon, nous étions déjà considérées comme des jumelles par ma mère qui nous habillait pareil, un poids supplémentaire…

Mais j’aimerais revenir à cette belle journée d’anniversaire. C’était une période où je me sentais particulièrement perdue. Je vivais un déménagement, dit temporaire, dans un appartement sous les toits face à la gare, avec un immense escalier qui m’obligeait à m’accrocher aux jupes de ma sœur pour ne pas tomber : quatre étages sans ascenseur, c’était haut pour mes petites jambes !! Papa nous rassurait régulièrement en nous expliquant que nous serions très vite dans celui de la Gendarmerie, beaucoup mieux pour tout le monde. Et oui, c’était un « adjudant » avec une sévérité et une autorité démesurées à mes yeux ! L’obéissance était de rigueur sinon…
Maman, elle, était plutôt obsédée par ma petite sœur, un bébé trop envahissant pour moi. Je me sentais délaissée et même un peu jalouse je crois.
Toute la journée, je m’étais demandée ce qui allait bien pouvoir se passer pour mon anniversaire… Sur le chemin du retour de l’école, main dans la main avec ma sœur, je badais devant les bonbons exposés dans la vitrine de la boulangerie d’à côté, mais je savais aussi que ce n’était pas pour moi… Pourtant je me persuadais toujours qu’une surprise m’attendait à la maison… A peine arrivée, je vis Maman s’occuper encore de ma petite sœur et, par son attitude, elle semblait avoir oublié que pour moi c’était une journée exceptionnelle. Après avoir avalé un bol de chocolat chaud et deux tartines beurrées, il fallut faire les devoirs (heureusement Monique était là pour m’aider !!) Et après seulement quelques minutes de jeu, c’était déjà l’heure du repas et d’aller se coucher. Papa était retardé par son travail, alors il n’y aurait rien de plus pour ce soir… Mon anniversaire avait bien été oublié… Un mélange de colère et de tristesse m’envahit alors malgré le câlin que ma sœur me fit pour atténuer ma peine. Je ruminai que ce n’était pas juste et décidai de faire quelque chose pour me faire remarquer, peu m’importait les conséquences… J’élaborai très vite un plan que je partageai avec Monique. La peur des représailles nous terrorisait mais à deux nous étions plus fortes. Sur ces bonnes résolutions, nous avions fini par nous endormir.
Le lendemain matin, pendant que ma sœur faisait le guet, je me précipitai dans l’entrée et plongeai ma main dans la poche de la veste de mon père pour prendre de la petite monnaie. Mon cœur battait la chamade mais une force en moi me fit aller au bout : mon cadeau serait les bonbons de la boulangère que je partagerai avec ma complice de toujours. Le manteau enfilé, nous sommes parties à toute vitesse. En chemin, l’arrêt pour acheter les fameux bonbons tant convoités était pour moi un véritable bonheur. On s’était même dit qu’on les finirait sous les draps en cachette. L’insouciance nous faisait oublier les risques pris.

Hélas, ce joyeux anniversaire ne dura pas longtemps. Bien sûr, papa s’en était très vite aperçu et le martinet fut au rendez-vous. La punition terminée, du fond de mon lit et la bouche pleine, je chuchotai à Monique avant de m’endormir : « qu’est-ce qu’ils étaient bons ces bonbons ! » D’ailleurs, je m’en souviens encoreCette blessure s’estompa au fil du temps grâce à ma force de cœur. Toute ma vie j’ai communiqué le plus possible par des mots positifs que j’offrais aux plus démunis, avec comme cadeau en retour, la richesse du partage.