Un an avait passé. La saison froide avait rangé ses fourrures blanches et ses poudriers. Les jours allongeaient à mesure que le printemps avançait à petits pas dans la forêt. Dans la terre encore engourdie des dernières gelées, des graines s’éveillaient, perçaient le sol et se bousculaient pour voir les premiers soleils d’avril. La famille des sauvageons avait surmonté deux hivers rigoureux mais n’avait rien perdu de sa beauté et de sa vitalité. Lina, Okyo et Brown, jeunes loups gris aux petits crocs acérés, avaient bien grandi. Les liens puissants de la fratrie les unissaient toujours et il n’était pas rare de voir s’ébrouer les trois compères, dans des esquives enjouées. Dans la fraîcheur du matin, la meute entendit des hurlements. Qui est ce congénère qui appelle dans le lointain ? Lina dressa les oreilles vers les ombres des grands arbres. Cette voix, il lui semblait la reconnaître. Elle s’éloigna du groupe en direction du nord, attirée par ces vocalises familières. Après une rapide course, elle stoppa net. A cent mètres, en lisière d’une clairière ensoleillée, un grand loup noir, à la fourrure épaisse, proférait des appels déchirants, la tête renversée en arrière. Lina s’enfuit sous le vent sans se faire remarquer. Cette nuit-là, la tête en feu, elle ne put s’endormir. Ce loup vigoureux et athlétique, elle en était certaine maintenant, c’était bien lui. Dakota l’indocile, qui avait défié Nakos et s’était enfui après une cuisante défaite. Personne ne savait ce qu’il était devenu, ni même s’il avait survécu à ses blessures. Et voilà qu’il réapparaissait dans sa beauté farouche. Quelques jours passèrent. Dans la chaleur de l’antre, Lina s’approcha d’Okyo :

-Mon frère, je peux te confier un secret, chuchota-t-elle.

-Oui ma douce, tu sais bien que je serai toujours là pour toi.

-J’ai aperçu Dakota au lendemain du dernier croissant de lune, en bordure de notre forêt.

-Dakota, ce bad wolf ?

-Oh ne l’appelle pas ainsi. Par sa faute c’est vrai il a été banni et contraint à l’exil. Mais si tu voyais comme il est devenu !

-Quoi ?

-Il est beau, il est grand, il est fort ! Sa mantelure couleur de nuit est si fournie. Et ses yeux, si tu voyais ses yeux…

-Oh ça va.

-La nuit dernière, j’ai même rêvé qu’il venait marauder autour du camp et qu’il me cherchait !

-Tu ne vas pas quitter notre famille Lina !

– Tu sais, je l’ai longtemps observé quand il hurlait. Pauvre Dakota, c’est un loup solitaire. Depuis son retour je n’ai de cesse de penser à lui. Son image me hante, je t’assure. Même la chasse ne me divertit plus. Je crois bien que j’ai perdu l’appétit. J’imagine que nous courrons ensemble dans les grandes plaines où paissent les élans, dans le soleil couchant, et qu’il ferait un excellent chef de clan et que je voudrais bien….

Lina se ressaisit :

-Surtout n’en dis rien à maman. Si Nakos notre père l’apprenait, il le chasserait à nouveau.

-Je te le promets Lina.

-Okyo…

-Quoi ?

-Comment on sait qu’on est amoureux ?

-Tu viens de me le dire, petite sœur.

Dès le lendemain, Lina partit à la recherche de Dakota dans l’épaisseur des broussailles. Les premiers signes de rapprochement entre le mâle et la femelle se firent de plus en plus intenses. Durant trois jours, Dakota fit sa cour avec une infinie tendresse à coups de langue sur les joues et les oreilles de Lina. Lina posa sa tête sur l’épaule du grand loup noir, une patte sur son dos. Le rituel engagé, elle se roula sur le sol. Il la renifla délicatement. Les jours passèrent en courses poursuites et hurlements en duo. Ils dormirent ensemble, bercés par les nuits étoilées du mois de juin. Lina oublia sa famille, sa mère, son père et ses frères. Au début de l’automne, six louveteaux montrèrent le bout de leur museau, dans la tiédeur d’une tanière fraichement aménagée. Une nouvelle meute était née.