Le Grimoire, ou Livre des Ombres comme l’appellent les nouveaux courants magiques, est l’outil indispensable de tout bon sorcier, enchanteur, explorateur de l’univers psychique ou tout simplement rêveur. C’est une somme de savoir acquise au fil des expériences au contact du merveilleux.

Il y a une paire d’années, je me dédiais corps et âme à une nouvelle lubie tout aussi maladive que passagère : créer un jeu de cartes sur le thème des créatures magiques. Rien de bien innovant me direz-vous, quand on voit la quantité de jeux qui existent déjà sur le sujet ! M’enfin, là n’est pas la question ! Disons seulement qu’à cette occasion, je confiais à l’une de mes deux frangines le soin de se renseigner sur les momies, et v’là-t’y pas que la donzelle me dégote une vraie petite merveille : le « Discours de la Momie et de la Licorne » d’Ambroise Paré !

Ambroise Paré vécut au 16ème siècle. Ce n’était ni plus ni moins que l’un des plus grands chirurgiens de son temps. Il fut d’ailleurs le Premier Chirurgien de plusieurs rois, et on lui attribue l’invention du garrot. Bien sûr, en tant qu’homme de science, il avait un esprit très pragmatique, le bougre, et se méfiait de toutes les superstitions qui avaient cours à l’époque en matière de remèdes miracles et de panacées. Ce sont plusieurs de ces superstitions qu’il dénonce dans le « Discours de la Momie et de la Licorne ».

Mais pourquoi la momie, et pourquoi la licorne me demanderez-vous ? Ben parce qu’au 16ème siècle, on était persuadé que le jus de momie et que la corne de licorne avaient des vertus curatives ! Le jus de momie était censé guérir n’importe quelle maladie et la corne de licorne se voulait un incroyable antidote contre toute forme d’empoisonnement. Rien que ça !

Ainsi donc, au lieu de l’aspirine et du doliprane, au 16ème siècle, à la moindre petite douleur on se procurait un bout de cadavre, ou un morceau de corne de licorne (mais c’est bien sûr, l’épicier du coin en a toujours un peu en réserve !) pour se faire des potions. Alors évidemment, Ambroise Paré s’étend longuement sur les trafics juteux qui avaient lieu de son temps, sur les arrières boutiques des apothicaires verreux où s’entassaient les cadavres desquels on prélevait les fameux morceaux de momie, sur les façons de sculpter l’ivoire afin de lui donner l’aspect torsadé de la corne de licorne, bref sur tous les moyens plus ou moins honnêtes de profiter de la crédulité des bonnes gens.

Mais ceci ne nous explique toujours pas pourquoi on attribuait des vertus curatives à la corne de licorne ! Oui parce que pour l’instant, on va oublier la momie (Adios Momie !) pour se concentrer sur la licorne. Donc la licorne… mais qu’avait-elle de si exceptionnel, la licorne ? Et pour commencer :

C’EST QUOI UNE LICORNE ???!!!

Quand on parle de licorne on pense systématiquement à la belle jument blanche des films fantastiques, avec sa superbe corne collée en plein milieu du front (en particulier celle de « Legend » de Ridley Scott). Mais en vérité, c’est pas tout à fait ça ! Comme beaucoup d’animaux fabuleux qui ont alimenté les bestiaires du Moyen-Âge, la licorne provient des écrits de Pline l’Ancien. Elle y est décrite comme un petit équidé avec une barbiche et des pattes de chèvre, une queue de lion, ainsi qu’une corne torsadée au milieu du front. On voit que certains détails ont été zappés depuis. Exit la barbiche, la chèvre et le lion… parfois même la bestiole se retrouve affublée d’attributs qui ne sont absolument pas les siens, genre… des ailes.

Mais non, non, non, les gars, une licorne ça n’a pas d’ailes !

Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes le cheval avec des ailes c’est Pégase ! Et lui n’a absolument pas de corne au milieu du front…

Sauf que, dans les années 70, les petits malins de « Donjons et Dragons » se sont adonnés à toutes sortes de manipulations génétiques plus douteuses les unes que les autres, qui ont contribué à créer de nouvelles espèces magiques. Et notamment l’unisus, mixage entre un pégase et une licorne. Fait exprès pour me contredire, l’unisus a donc les ailes de son papa et la corne de sa maman. Mais ce n’est pas un bon exemple à retenir, car tout ça c’est du bidouillage moderne !

Ainsi donc j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : non, non, non et non, la licorne n’a pas d’ailes, et Pégase n’a pas de cornes ! Un point c’est tout !!!

« – Ah bon ? » me dira le petit malin du dernier rang. « Et que faites-vous, ô grande sommité de sagesse, du pégase éthiopien? »

Et là je flingue du regard le petit malin du dernier rang. Parce que manque de bol pour moi, le pégase éthiopien a non seulement des ailes, mais aussi des cornes… eh oui ! Tout ça, à cause de ce coquin de Pline l’Ancien (encore lui!) qui nous parle de cet étrange bête méconnue de tous.

Pégase, OK, mais éthiopien ???

J’en perds mon latin ! Ben oui, le pégase éthiopien est une variante du pégase ique. Il a des ailes, il a des cornes (2 comme les gazelles… et les cornes de gazelle c’est trop bon !), il est beaucoup plus sauvage et vit en troupeau, mais il est COMPLETEMENT HORS SUJET !!! Car je vous rappelle que nous traitons aujourd’hui de LA LICORNE !!! Et plus précisément de sa corne… et non point de ses ailes qu’elle ne possède absolument pas !

Bref, trève de digressions ! Parlons maintenant des :

VERTUS DE LA CORNE !!!

Pour ce faire, retournons quelques instants au Moyen-Âge. On a dit que les écrits de Pline l’Ancien avait fait le bonheur des bestiaires, et des alchimistes  qui cherchaient une explication symbolique et religieuse à toutes ces bizarreries issues de la zoologie antique. Ainsi, au Moyen-Âge, la licorne, à cause de sa corne qui se dresse au milieu du front comme un rayon de lumière, est devenue une représentation de la fécondité de l’esprit, mais aussi de « la pénétration du divin dans la créature ». De là, il n’y a qu’un pas vers la Vierge Marie, dont la licorne devient un emblème. Et voilà notre bestiole associée à la virginité, seules les vierges peuvent l’approcher, la toucher, et patati et patata… notre licorne symbolise alors la virginité ; c’est une jeune vierge !

Par conséquent, quand, dans « Harry Potter à l’école des sorciers », J.K. Rowling nous montre Voldemort entrain de saigner une licorne pour se régénérer, c’est une façon élégante de nous dire qu’il se tape une vierge ! L’ignoble gredin ! En tous cas, les vieux clichés sont tenaces, et le motif de la vierge sacrifiée est toujours porteur ! Mais ceci est une toute autre histoire !

Au delà de la virginité, la licorne finit par représenter toute forme de pureté. Cette faculté est si active chez elle, qu’un simple contact avec sa corne parvient à purifier tout ce qui est corrompu. D’où les vertus de la corne comme contre-poison. Ambroise Paré nous dit même qu’un animal venimeux, enfermé dans un cercle tracé avec de l’eau dans laquelle a trempé une corne de licorne, meurt sur le champ.

ET LÀ, JE NE PEUX M’EMPÊCHER DE PENSER AU RHINOCEROS !!!

Au rhinocéros ? Diable ! Où est-ce qu’il va encore nous chercher ça ? Grande

Ambroise Paré parle du rhinocéros dans son « Discours de la Momie et de la Licorne ». Il mentionne aussi beaucoup d’autres créatures cornues, plus ou moins fabuleuses, à qui sont associées les mêmes vertus que celles de la licorne. Pour en revenir au rhinocéros, ce cher vieil Ambroise soutient qu’il n’a aucun rapport avec la licorne. Mais personnellement, je me plais à croire le contraire. Coïncidence ou pas, en Asie, il existe tout un tas de croyance autour de la corne de rhinocéros en tant qu’aphrodisiaque ou purifiant.

La plus probante parle d’un oiseau empoisonné nommé le Zhen. Certaines versions le décrivent comme une oie au plumage violet, d’autres comme une espèce de paon ou de faisan. Toujours est-il que l’oiseau Zhen se nourrirait exclusivement de serpents venimeux. Ce qui le rendrait extrêmement toxique. La moindre de ses plumes serait imprégnée d’un poison mortel.

La légende voudrait que le rhinocéros et le Zhen vivent à proximité, près des étendues d’eau. La seule présence du Zhen souillerait ces dernières au point de les empoisonner. Mais il suffirait que le rhinocéros y plonge sa corne, dans le but de s’y abreuver, pour rendre à ces eaux leur pureté. M’est avis que la licorne serait tout à fait capable d’en faire autant !

Au final :

QUE FAUT-IL RETENIR DE TOUT CE VERBIAGE ???

Pas grand-chose sinon ce superbe enseignement destiné aux enchanteurs de tout poil (à lire au choix : 1) avec une voix de grand maître taoïste / 2) avec celle de Maître Yoda)  :

« Pour approcher de la Licorne

La ceinture de chasteté tu porteras

Avec son appendice torsadé

Ton ami empoisonné tu soigneras

Mais pour ton enfoiré d’ennemi

La plume de Zhen tu utiliseras »