Un Chat, nommé Rodilardus
Faisait des Rats telle déconfiture
Que l’on n’en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu’il en restait, n’osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son sou,
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or un jour qu’au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa Dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l’abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiraient en terre ;
Qu’il n’y savait que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen,
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : « Je n’y vas point, je ne suis pas si sot »;
L’autre : « Je ne saurais. »Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ai maints Chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,
Voire chapitres de Chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La Cour en Conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.

 

Pour la petite histoire,  Jean de La Fontaine a écrit 12 livres de fables. Celle que vous venez de lire est la 2ème fable du livre II. Mais ces livres n’ont pas été édités au fur et à mesure de leur écriture.

En tout, Jean de La Fontaine aura écrit 240 fables, publiées en 3 recueils : le premier en 1668 se composait de 124 fables, réparties en 6 livres et fut dédié au Dauphin, le fils aîné du roi Louis XIV. Le second publié en 1678 fut dédié à la maitresse du roi, Madame de Montespan. Et enfin le troisième publié en 1694 fut dédié au Duc de Bourgogne, le petit-fils du roi.