Elisa et Timothée

Elisa était triste. A l’école, beaucoup d’élèves l’appelaient « le corbeau » parce qu’elle avait les cheveux noirs. C’est la maîtresse qui l’avait dit en parlant de la couleur des cheveux. « Par exemple regardez les cheveux d’Elisa sont très bruns, presque noirs, alors on dit dans le langage courant noir corbeau ». Toute la classe s’était mise à rire. Elisa ne trouvait pas ça très drôle et s’était encore plus repliée sur elle-même. Sa timidité maladive l’empêchait de s’exprimer, alors elle baissait la tête en rougissant.

Elle n’avait pas de papa comme les autres enfants. Quand elle posait des questions à sa mère, celle-ci répondait : « Je te raconterai plus tard, quand tu seras grande ». Mais Elisa se disait que plus tard ce serait peut-être jamais. Alors le soir dans sa chambre elle regardait la carte postale que lui avait envoyée son tonton qui habitait en Sicile, Taormine et son théâtre grec avec l’Etna pour décor. Ce paysage qu’elle regardait tous les jours lui faisait oublier pendant un moment les moqueries de ses camarades. Elle se disait que lorsqu’elle serait grande, elle irait dans ce pays que sa maman avait quitté, elle ne comprenait pas pourquoi, ça avait l’air si beau.

Plus le temps passait, plus elle perdait de son assurance, elle pensait qu’elle n’était pas comme les autres enfants. Une fille sans père avec les cheveux noir corbeau et qui plus est introvertie n’attirait pas forcément la camaraderie. Sa chambre, où trônait la carte postale sur sa table de chevet, était son refuge. Elle l’avait tellement regardée cette carte postale qu’il lui semblait qu’elle connaissait Taormine par cœur. Elle lui parlait comme à une amie qu’elle n’avait pas. Le matin, c’était le cœur lourd qu’elle retournait à l’école.

Un jour la maîtresse leur annonça la venue d’un nouveau camarade. Il s’appelait Timothée. Elle leur expliqua qu’il avait eu un grave accident et que pour l’instant il ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant et elle leur demanda d’être très gentils avec lui. Lorsqu’il entra dans la classe, la plupart des élèves murmurèrent des oh ! Ah ! Non seulement il était sur un fauteuil roulant, mais il avait une minerve autour du cou, sa tête penchait légèrement sur la droite et son bras gauche était maintenu par une écharpe. « Tu te mettras à côté d’Elisa, dit la maîtresse ». Forcément, c’était la seule place disponible puisque personne ne voulait s’asseoir à côté d’elle. Timothée regarda Elisa et lui sourit timidement.

Pendant la récréation, Elisa resta près de Timothée parce qu’elle le sentait désemparé. Les enfants le regardaient comme une bête curieuse. Elle entendit un enfant lancer « mais il est tout tordu ! Il n’a pas l’air normal ! ». Alors elle lui dit « Ne les écoute pas, moi il m’appelle le corbeau parce que j’ai les cheveux noirs ». Petit à petit ils s’apprivoisèrent, devinrent des amis. Ils se racontèrent leurs déboires, se rassurèrent, se consolèrent. Ils scellèrent leur amitié en se partageant la carte postale qui était devenue la mascotte de Timothée. Il lui avait même promis « un jour si tu veux quand on sera grand on se mariera ». Elle lui avait répondu « oui, et on ira vivre en Sicile ».

L’histoire ne dit pas s’ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, mais leur différence et leur amitié avaient fait leur force. A la fin de l’année scolaire, ils eurent tous les deux les félicitations de la maîtresse pour leurs progrès. Elle les avaient vu sortir lentement de leurs coquilles. Ils marchèrent dans la cour la tête haute, fiers d’avoir retrouvé cette confiance en eux qui leur manquait tant. Elisa poussait le fauteuil de Timothée vers la sortie, un sourire illuminait son visage, elle avait des étoiles plein les yeux.

Marcal

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