Il y eut un regard, un regard scintillant dans le petit jour. Le reflet de tes yeux se posa sur mon épaule et sur ma joue. Et à cet instant précis, où rien d’autre ne comptait plus, je sus que la vie palpitait davantage, que la terre tournait un peu plus vite et que mon chat avait le poil plus luisant que jamais.

Il y eut un regard, un regard furtif, tête en l’air. Des nuages dodus baignés de lumières passaient, nonchalants, dans le ciel de juillet. Un instant, un poème suspendu dans le temps, une empreinte à l’âge de six ans, sur le chemin menant au village. Le long des murets fissurés, poussaient des pensées aux grands yeux coloriés.

Il y eut un regard, un regard sur l’homme. Un bel homme, patient et prévenant, astucieux et joyeux comme un Italien. Un rempart contre les écueils du monde. Il regardait la mer faire le gros dos sous les assauts des vents de la vie, mon père.

Il y eut un regard, un regard de mois d’août, ébloui par l’orangé d’un soleil rasant un pré de fauche. Et les soirs d’été, tandis que le jour baigne dans ses coulures pourpres, des effluves de foin coupé s’emparent de ma mémoire et me ravissent tout à la fois.

Il y eut un regard, un regard bienveillant sur cet animal qui prétendait être un chat sans domicile. Chaque soir après le souper, il avait décidé de s’allonger sur la table de la cuisine, parmi sa famille d’adoption. Il restait là, étrange, et caressant. Il nous murmurait des mystères avec ses yeux de jade.

Il y eut un regard sur le temps, un long regard qui plâtre les entailles des mauvais coups avec l’argile des jours.

Il y a un regard sur le rêve amoureux, comme l’oiseau de feu n’en finit pas de mourir et de renaître.

Il y a un regard, un regard gourmand sur un p’tit déj’ à peine éveillé, dont les grains de pollen enluminent le bol et les fruits secs craquent malicieusement sous la dent.