Gianni, c’est la personne que j’admire le plus dans ce monde.

Elle a l’âge de ma grande sœur Angela. D’ailleurs, c’était la meilleure amie d’Angela, lorsque moi j’étais petite.

A ce moment-là, son père lui affirmait qu’en grandissant elle ne serait pas jolie, Gianni.

Comme il se trompait. D’ailleurs il n’a pas arrêté de se tromper et de mentir, puisque maintenant il est à la colle avec ma mère. Nos deux familles se sont télescopées. Mon père, lui, il est à la colle avec la mère de Gianni…

Moi, je l’avais bien vue la beauté qui était en Gianni. Et je ne me suis pas trompée, moi.

Je me souviens de quand j’étais petite et que Gianni venait coucher à la maison, dans le lit d’Angela. Je faisais semblant de dormir et j’écoutais tout ce qu’elle se disaient à voix basse, les « deux grandes » : La voix de Gianni me faisait déjà de l’effet, une belle voix protectrice un peu grave, pleine de douceur mais surtout pleine de détermination. Le genre de voix que l’on est prête à suivre à tout moment, sans réfléchir.

Finalement, c’est heureux que nos deux familles se soient mélangé les pinceaux. Ça m’a donné l’occasion de me rapprocher encore plus de Gianni. En grandissant, ma sœur Angela m’avait emmenée avec sa bande de copains et je me suis de plus en plus rapprochée de Gianni. Ce rapprochement nous a conduites toutes les deux à échanger ce qu’on peut appeler de l’amitié, mais de plus en plus de la tendresse.

Gianni, elle est belle. Elle est même très belle. Elle ressemble trait pour trait à une madone de Bellini que l’on a vue à L’Accademia. Elle a des beaux cheveux bruns qui lui descendent sur les épaules et qu’elle coiffe souvent en queue de cheval. Ses yeux noirs, lorsqu’elle me regarde, provoquent en moi un bien-être qui chauffe dans tout mon corps. Sa poitrine est magnifique et sa chute de reins admirable. Une vraie napolitaine, quoi… Et je ne parle pas du reste de son corps qui m’émeut au plus profond de moi, même quand je ne fais qu’y songer.

Gianni, elle me rassure alors que ni ma mère ni ma sœur ne me rassurent. Toute cette bienveillance dont elle fait preuve à mon égard, j’en ai eu la démonstration après que je lui ai raconté ma sale histoire avec ce jardinier. Elle m’a écouté. Alors que les larmes me montaient aux yeux, j’ai vu son regard se troubler à son tour. Et lorsque j’ai terminé mon récit, elle m’a doucement embrassée sur les lèvres.

C’est après ce jour qu’elle m’a demandé de l’accompagner à Venise. Lors de notre voyage en train, elle m’a raconté qu’elle avait voulu vivre la même chose désagréable que moi, pour que désormais nous soyons sur un pied d’égalité, que nous ne restions pas des gamines et que nous devenions de vraies adultes, mais sans nous mentir comme font tous les autres.

Ah ! Comme j’ai aimé cette escapade de cinq jours à Venise, toutes les deux. Comme j’ai aimé nos promenades, nos repas en tête-à-tête. Comme j’ai aimé nos baisers et nos étreintes !

Je devais redoubler ma classe et du coup je voulais laisser tomber le lycée. Et puis à Venise, Gianni m’a dit « Si tu veux, je te fais travailler pendant les vacances ». Je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui. Elle m’avait rassuré. Et nous y voilà : elle me fait travailler pendant les vacances. Et comme je suis heureuse de ça !

Avec Gianni, tout me paraît plus simple : le latin, les maths, la grammaire… Avec Gianni, je peux parler des livres que j’aime, et nous passons du temps à les décortiquer, à chercher ce que ressentaient Moravia, ou Manzoni.

Gianni est partie au Pascone depuis ce matin pour aller voir une de ses parentes qui est très malade. Ça ne fait que quatre heures qu’elle est partie, mais qu’est-ce qu’elle me manque ! J’ai écrit ces pages sur mon petit cahier d’italien pour lui lire quand elle rentrera, avec les quelques vers qui précèdent.

Je voudrais qu’elle soit là. Je voudrais que toute ma vie elle reste à côté de moi. Si jamais quelqu’un s’avisait de lui faire du mal, ou simplement de lui causer du chagrin, je crois que je pourrais le tuer !

Voilà, nous deux on est Gianni et Ida. C’est ma Gianni…

Ida.