Elle s’appelait Caridad. En fait, son prénom complet était Caridad de Todos los Santos. Et pourtant, Dieu sait qu’elle était mal nommée…Imagine-t-on une jeune fille de 18 ans de la bonne société californienne être à la fois égoïste, parfois cruelle voire même impitoyable ?

Et pourtant telle était Caridad. Justement, ce jour-là, après s’être querellée avec son père Don Carlos, maire du petit village de Los Angeles, cette péronnelle avait claqué la porte de l’hacienda familiale et était partie en voiture vers Monterey car paraît-il on y soldait des robes en provenance de France (elle était aussi avare). Bien sûr, avant de partir elle avait copieusement morigéné le palefrenier, le cocher et sa propre duègne qui l’accompagnait dans cette escapade. Et ainsi la voiture roulait sur la route de Monterey au grand galop des deux chevaux, soulevant un nuage de poussière considérable.

Alors que la berline atteignait le vieux monastère abandonné du Pilar, des cris retentirent. Caridad se pencha à la portière: trois bandits à cheval poursuivaient le carrosse. Oubliant la duègne qui s’était mise à pleurer, Caridad souleva le siège arrière qui dissimulait un coffre et y entra pour s’y cacher. Mais soudain le plancher du fond céda sous le poids de la donzelle qui chuta lourdement dans la poussière entre les roues arrière. Hébétée, elle vit la voiture qui s’éloignait et les trois bandits qui freinaient des quatre fers, l’ayant vue tomber. Elle pensa qu’ils allaient l’aider à se relever, et elle en profita pour agonir son cocher qui désormais fuyait au loin. Mais les trois gredins ne l’entendaient pas ainsi. Le plus vieux, qui paraissait être le chef s’écria : « Caramba compañeros ! Voilà un plus beau butin que celui que nous espérions. Voyez la jolie caille que nous avons chassée ! Eh !… Priorité au chef ! Vous passerez après… approche ma jolie ! » Caridad réalisa tout de suite ce qui l’attendait et elle se mit à supplier le vieux « Soyez charitable, Señor, ayez pitié d’une pauvre fille blessée qui se rend au chevet de son vieux père malade » (elle était aussi menteuse) . Le vieux braqua alors sur elle le pistolet qu’il avait glissé à sa ceinture « Si tu n’es pas gentille je logerais une balle entre tes beaux yeux, histoire de te mettre du plomb dans la cervelle et on fera quand même notre affaire avec toi ! ». Alors un claquement très sec fendit l’air et le pistolet vola tandis qu’un homme masqué, tout de noir vêtu et maniant un long fouet faisait irruption de derrière les arbres. « En arrière bandits ! » s’écria-t-il. Les trois gredins dégainèrent ensemble leurs épées. Mais le caballero tira la sienne et croisa le fer avec les trois sbires à la fois. Il désarma d’abord le chef et lui planta sa lame dans le médiastin. Puis le second subit le même sort quelques secondes après. Alors le troisième jeta son épée et pris ses jambes à son cou. Le beau ténébreux se tourna vers Caridad. Il souleva son élégant sombrero : « Buenas dias, Señorita » dit-il avec un sourire éclatant sous la fine moustache. Caridad avait entendu parler de cet homme, mais elle ne l’avait jamais vu. « Señor Zorro ? » murmura-t-elle. « Pour vous servir Señorita » répondit l’homme, aidant la jeune fille à se relever. Alors Caridad se mit à pleurer à chaudes larmes, balbutiant que ce qui venait de lui arriver était la conséquence des mauvaises paroles qu’elle avait eues le matin même avec son père, et puis avec le cocher, et puis avec la pauvre duègne et qui se trouvaient maintenant Dieu sait où… « Je ne le ferai plus ! ,s’écria-t-elle, Jamais ! jamais ! Désormais je serai sage… et bonne ! ». Zorro s’enquit du lieu où il fallait ramener Caridad. Elle choisit de rentrer à l’hacienda à Los Angeles. Alors le justicier siffla et cria « Holà Tornado ! ». Un magnifique cheval noir au poil luisant comme l’acier surgit de derrière les arbres. Zorro aida Caridad à monter en croupe. « Tenez-vous bien señorita. Nous allons couper par la sierra ». Et pendant qu’elle serrait de près le beau cavalier, elle ne put s’empêcher de remarquer que celui-ci sentait l’eau de Cologne à la violette tout comme le jeune Diego, fils de ses voisins de La Vega, à qui elle avait eu l’occasion de battre froid lors du dernier bal. « Pourquoi faites-vous tout ça, Señor Zorro ? » lui demanda-t-elle en descendant de cheval devant l’hacienda familiale. Zorro, toujours avec son sourire éclatant, lui déclara « Señorita, dans ce bas monde, seule la charité nous permet de survivre. Ne l’oubliez jamais. Adios, Señorita ! » s’écria-t-il en cabrant Tornado et en faisant volte face vers la sierra.

Caridad s’effondra en larmes dans les bras de son père qui était tout étonné d’avoir vu sa fille ramenée par Zorro. Puis, lorsque dans la soirée le cocher et la duègne rentrèrent effondrés, elle les serra aussi dans ses bras « Mes amis, leur dit-elle, pardon d’avoir été si méchante avec vous. »

Et dès lors, Caridad mérita bien son prénom.