Ma grand-mère fait les meilleurs foies gras de toute la région. Dans son « p’tit labo » comme elle dit, elle prépare des pots pour les fêtes. Elle achète toujours ses foies gras crus de canard à un producteur de Sainte Foi dans le sud-ouest. Tout d’abord elle les aère, non pas dans la cour de ferme, comme lui avait demandé une fois  un touriste allemand.  Elle les dénerve délicatement, étape importante pour éviter toute amertume. L’assaisonnement dépend évidemment  des goûts de chacun. Elle aime bien  les alcools forts (hum, pas que pour le foie gras) et les quatre épices. Elle stoppe la cuisson dès qu’elle aperçoit les premières perles de graisse au-dessus de la terrine et rajoute en riant que pour elle on aurait dû arrêter la cuisson depuis longtemps, vu  ses rondeurs. Ma grand-mère est ainsi, direct et sans filtre.

Elle aime aussi enseigner et partager son expérience. Cela  commence toujours comme un grand cérémonial. Elle enfile un tablier blanc, ajuste sa charlotte, met des gants blancs, souligne l’importance de l’hygiène. Ensuite, elle vérifie plusieurs fois ses instruments,  comme elle dit, puis avance sa main vers le petit verre de cognac, observe sa couleur, le sent et sous l’œil étonné ou envieux du groupe elle en boit deux ou trois gorgées. « Ma foi, un petit verre ne peut faire de mal à personne » dit-elle avec un rire de petite fille surprise dans sa bêtise. En prenant une grande inspiration, elle commence son travail de façon minutieuse. Ses gestes sont lents mais sûrs. Elle rappelle que la température  a son importance dans la qualité du travail. Pour le savoir dit-elle on peut appuyer avec l’index à la surface du foie. Il doit être souple pour que le doigt forme un léger creux. «  Quelqu’un veut-il essayer »demande-t-elle à son assistance. Une main timide s’élève mais à peine s’est –elle approchée, la personne tombe dans les pommes. « En voilà une qui ne sera pas céréales-killer si elle ne déjeune pas le matin ou peut-être avait-elle vraiment les foies ? »

Puis sans empathie aucune, pour la personne à terre, elle continue son travail. Elle sépare à présent les deux lobes en les écartant délicatement avec les mains et d’un sourire triomphant annonce : « Ma foi, j’en étais sûre, cet homme n’est pas mort d’une mort naturelle, c’est un crime et en voici la preuve, une balle en plein foie. »

Je ne vous l’ai pas dit, ma grand-mère est médecin légiste au centre hospitalier de Foix et c’est seulement là qu’elle aime enseigner car sa recette du foie gras, elle, reste secrète !